Une évaluation formatrice par les ceintures
Une « ceinture » est la principale institution issue de la pensée de Fernand OURY. Praticien du judo, il avait observé la capacité des judokas à coopérer malgré les écarts de niveaux existant dans le groupe. Enseignant soucieux de permettre à tous ses élèves de profiter des moments scolaires, il envisagea le transfert de ce qui fonctionnait dans cette pratique sportive aux préoccupations pédagogiques. Une ceinture est donc la représentation symbolique d’un niveau de maîtrise correspondant à un ensemble de compétences identifiées. Elles se déclinent en plusieurs couleurs : rose – blanc – jaune – orange – vert – bleu – marron – noir.
Les intentions éducatives d’un emploi de ceintures sont multiples. Il s’agit tout d’abord de permettre à l’enseignant de tenir compte des connaissances initiales mobilisées par les élèves tout en faisant de l’hétérogénéité du groupe un facteur d’apprentissage plus qu’un frein aux évolutions. En d’autres termes, les ceintures tendent à ce que chaque enfant, dans un groupe, puisse être pris en considération quels que soient ses connaissances, ses compétences et son profil d’apprentissage.
Il s’agit ensuite de permettre aux enfants d’entrer dans des activités qui correspondent à ce qu’ils sont en mesure d’entreprendre, qui se trouvent dans ce que Vygotsky nomme la zone de proche développement. Lorsqu’un enfant s’entraîne pour l’obtention d’une ceinture, il tente la maîtrise de compétences ni trop aisées, ni trop complexes au regard du son niveau actuel.
Avec les ceintures, il s’agit également de permettre aux enfants de disposer d’un support conséquent aux apprentissages coopératifs. Du fait de l’acceptation du caractère hétérogène d’une classe, l’enseignant ne peut plus être le seul recours face aux obstacles rencontrés lors des situations d’apprentissage. Les pairs deviennent des relais éventuels et des sources d’aides possibles, tout autant que les adultes de l’école, encore plus que le matériel pédagogique et didactique à disposition dans la classe. Dans les faits, lorsqu’un enfant « jaune en lecture » ne parvient plus à résoudre un problème posé pour l’obtention de la ceinture orange, il peut aller trouver un enfant ayant déjà réussi cette ceinture et lui demander de l’aide. Cela implique d’une part qu’un tableau des ceintures soit affiché dans la classe de manière à ce que les niveaux puissent être accessibles par tous, et d’autre part que celui qui bénéficie de cette aide s’engage à en fournir une s’il vient à être sollicité. Intervient alors un phénomène qui optimise les apprentissages effectués, celui qui voit un enfant s’efforcer d’expliquer à un pair ce qui se joue pour la maîtrise d’une compétence. Il n’est plus seulement conduit à esquisser des stratégies qui lui correspondent mais il doit aussi en envisager d’autres pour multiplier les chances de réussite de l’enfant qu’il soutient.
Enfin, les ceintures ont l’évaluation pour objectif. Celle-ci est à la fois diagnostique, formative, sommative et formatrice. Elle est diagnostique lorsqu’en début d’année l’enseignant évalue les compétences maîtrisées par les élèves. Cette phase initiale d’évaluation permet de disposer des profils constitutifs de la classe. Elle est formative parce que lorsqu’un enfant échoue dans la passation d’une ceinture, ses domaines de maîtrise sont identifiés et considérés tout comme ses insuffisances sont retenues pour faire l’objet d’une remédiation. Elle est sommative parce qu’une ceinture ne peut pas être retirée et ce qui est obtenu en début d’année n’est pas remis en question ultérieurement. Un enfant qui réussit une ceinture voit son domaine de préoccupations changé et son statut dans la classe modifié puisqu’il devient expert pour les compétences de la ceinture qu’il vient d’obtenir. Lorsqu’il change de classe, il n’est plus nécessaire d’évaluer à nouveau ce qui a été acquis. Elle est formatrice parce que ce travail d’évaluation permet également aux enfants d’apprendre dans la mesure où les validations se font soit lors d’entretiens personnalisés, soit face au groupe entier qui valide ou pas la maîtrise d’une compétence.
Le fonctionnement de cet outil ceinture est possible avec le respect de quelques éléments :
® Un tableau « je grandis » est affiché dans la classe et regroupe l’ensemble des ceintures obtenues par les enfants ;
® Chaque enfant doit disposer de l’ensemble des grilles de ceintures sur lesquelles se trouvent les compétences correspondant à chaque couleur et la possibilité pour l’enseignant de signifier la réussite d’une ceinture et la maîtrise des diverses compétences lors des phases d’entraînement ;
® Lors des phases de mutualisation, la priorité de parole est toujours donnée aux « plus petits », c’est à dire les enfants qui ont les ceintures les plus claires (blanc puis jaune) ;
® Pour que des enfants reconnus comme experts puissent être en mesure d’aider efficacement un demandeur, celui-ci doit avoir intégré un certain nombre de règles méta-cognitives : pour aider, on ne donne pas la solution, on ne se moque pas, on encourage et on fournit plein d’idées et d’exemples. Ces acquisitions doivent nécessairement faire l’objet d’un travail spécifique conduit par l’enseignant en début d’année scolaire.
Lorsque, dans les situations de rencontres interindividuelles, des difficultés interviennent, le conseil de classe est en mesure de décider d’éventuels aménagements. Progressivement, un climat de travail coopératif s’établit dans le groupe. Il permet aux enfants de ne pas se contenter des réussites antérieures et de s’efforcer d’en obtenir de nouvelles. Ce qui les pousse à évoluer ne correspond pas à de la compétition mais plutôt à une émulation enrichie par la valorisation des efforts de chacun.