Le président du jour
Il se trouve que la vie coopérative de la classe s’appuie sur une série d’éléments du contrat de vie de classe qui garantissent la sécurité, le respect et la mise en confiance de chacun. Ces lois, règles de vie et codes de conduite font régulièrement l’objet d’études de la part du conseil de classe et tout un chacun sait s’y référer quand il en éprouve le besoin.
Or ce n’est pas parce qu’une règle est écrite, même si elle a été proposée, discutée, votée et parfois comprise et signée, qu’elle va automatiquement être respectée par tous les membres de la communauté pour qui elle existe. Je crois même que le réel travail d’apprentissage de la loi sociale, de sa portée et des limites qu’elle pose, commence à partir du moment où elle a été écrite.
Il est tout à fait judicieux de penser que c’est à l’adulte de la classe qu’incombe cette fonction de rappel de la règle. Le plus souvent, cela évite contestations, interprétations et indulgences pour les copains mais pas pour les mal-aimés.
Et pourtant, …
L’enseignant de la classe est une personne tout aussi faillible que n’importe quel enfant et l’on sait combien les erreurs d’interprétation de l’adulte peuvent engendrer des sentiments d’injustices chez les enfants.
Les plus souvent, tout du moins pour les enfants les plus dégourdis dans la classe, l’enseignant est le principal référent pour les problèmes rencontrés. On imagine mal comment un enfant ne reconnaissant pas les phrases minimales ou se trouvant devant un problème informatique insoluble pour lui va bien pouvoir poursuivre son activité sans l’aide de l’adulte.
Pendant les moments de travaux personnels, il est donc utile que l’enseignant soit disponible pour aider à l’évolution des activités dans lesquelles les enfants se sont engagés. Du fait que le don d’ubiquité ne fait pas encore partie de la formation IUFM, nous nous trouvons souvent en train de gérer deux types de demandes : celle concernant le respect des petites règles de fonctionnement coopératif et celles autour des activités et apprentissages en cours.
La solution pourrait être de réduire la part de liberté des enfants dans la classe mais on voit bien combien celle-ci contribue pleinement à l’exercice de la coopération et à l’aboutissement des projets de chacun.
C’est avec toutes ces interrogations que je me suis présenté il y a environ deux ans au sein du conseil de la classe unique dans laquelle je travaille. Je demandais que l’on trouve une solution pour me permettre d’être plus disponible auprès des enfants qui en ont le besoin pour leurs activités.
Et c’est ainsi que progressivement, la fonction de « président du jour » s’est construite pour en arriver aujourd’hui au fonctionnement que je vais détailler.
A la fin du bilan météo de journée, le président du jour choisit parmi les enfants volontaires ayant le moins dérangé celui qui va lui succéder. Le lendemain, son prénom est écrit sur une affichette prévue à cet effet. Il préside tous les moments de réunion de la journée : Quoi de neuf, réunion, conseil, choix de textes, présentations, bilan météo. Quand il le juge nécessaire, il s’occupe aussi de modifier le « code du bruit dans la classe », celui qui permet de travailler dans un calme relatif permettant les concentrations. Il peut éventuellement noter sur une feuille les gênes provoquées par certains.
Le soir, après le bilan de journée et avant le choix du prochain président, les enfants de la classe sont amenés à donner leur avis sur la manière dont le président du jour a fait vivre cette fonction : a-t-il rappelé les règles quand il le fallait ou s’est-il contenté de vaquer à ses activités ? a-t-il pu aider les enfants qui en avaient besoin ou ne s’est-il intéressé qu’à ses copains ? A-t-il crié pour se faire respecter ou s’est-il référé aux institutions de la classe ? … C’est souvent lors de cette discussion qu’une sorte de déontologie du président du jour apparaît et se construit. Les quelques enfants qui, à plusieurs reprises, n’ont pas tenu compte de ce qui se disait lors de ces moments peuvent se retrouver mal à l’aise lorsqu’il est question de s’en expliquer et ne se proposent pas ou ne sont pas forcément choisis immédiatement pour reprendre cette fonction.
Il va de pair avec cette fonction que parfois rien ne tourne comme il le faudrait. Mais qu’importe ? Dans ces cas, en tant qu’enseignant, je peux demander à reprendre l’animation de la classe au détriment de ma disponibilité. Mais ce n’est que temporaire.
Certains enfants ne souhaitent plus être président parce qu’ils se sont aperçus que cela entravait la portée de leur travail. D’autres ne se donnent plus le droit de le devenir parce qu’ils ne sont pas arrivés plusieurs fois à rappeler certaines règles auprès de leurs copains ou ont beaucoup de mal à s’interdire de faire le petit chef dans la classe.
Certains en revanche ont pu disposer d’une place qui a montré une facette positive de leur personne, qui a pu contribuer à les faire sortir d’une réserve personnelle nocive à leur engagement dans diverses activités ou divers lieux de parole et de décision. D’autres enfin arrivent très bien à concilier la présidence de la classe et la gestion des projets qu’ils souhaitent mener.
En ce qui me concerne, j’ai adopté le réflexe de ne plus m’occuper de ce qui est du ressort du fonctionnement de la classe et de renvoyer au président ou au conseil toutes les demandes m’étant faites à ce sujet. Les enfants président du jour savent toutefois que je peux à tout moment les aider ou répondre à leurs demandes. Je peux donc accorder toute mon attention aux groupes que je suis ou aux enfants qui viennent me trouver pour les aider à débloquer certains nœuds de problèmes.
Voici donc une nouvelle institution coopérative dans la classe, au service du développement des activités, qui se trouve être le terrain d’une foule d’apprentissages, dont la principale caractéristique est son humanité, avec toutes les surprises et aventures que cela génère…
Sylvain CONNAC