Contribution
(Michel Barrios)
Je crois bien que la trilogie : un instit, une classe, un cours, est l'une des causes de la désespérance actuelle de l'école. Personnellement, en tant que professionnel blanchi sous le harnois, je ne me sens absolument pas capable de faire classe en un an à un groupe d'enfants, quel que soit leur niveau ou leur "homogénéité" apparente.
J'irais même plus loin, en disant que les classes de cycle – aussi novatrices soient-elles encore actuellement (pourtant, loi d'orientation vieille de 14 ans) - ne me paraissent qu'un pis-aller, une pâle photocopie de l'enseignement en continu qu'incarnent les classes uniques. Je crois profondément que l'idéal serait la classe du CP au CM2, même dans les grosses structures scolaires urbaines. Pratiquement, un enseignant responsable de sa classe pendant 5 ans, de l'apprentissage de la lecture à l'entrée au collège. Je suis persuadé qu'il faut casser la taylorisation actuelle du métier. Cette organisation est sûrement valable pour la production de voitures ou de téléviseurs, pas pour la matière vivante que sont les enfants. Ceci dit, je conçois que ma proposition serait une vraie révolution chez les enseignants, la hiérarchie et les parents...
La solution intermédiaire est donc la classe de cycle. Qui entre tout à fait dans la loi ( pas encore abrogée, mais ça ne saurait tarder) de l' Education Nationale.
Je m' étonne d'ailleurs que la hiérarchie inspective ignore à ce point cet angle de réflexion. Et une question me vient : Pourquoi les promotions successives d'IEN ne sont-elles pas confrontées "obligatoirement" à la diversité des façons d'enseigner, y compris à celle des militants de mouvements pédagogiques ? Pourquoi se ressemblent-ils tous, ces IEN ( à part de rares individualités) et reproduisent-ils tous les erreurs du passé ?
Bon, je m'égare, revenons au sujet. Je disais donc que les classes de cycle ne sont pas l'idéal, mais sont indubitablement un progrès, progrès qui lui-même n'est pas à la veille d'être généralisé.
Je vois pourtant dans ce compromis maints avantages, à condition bien sûr d'un tremblement d'éducation d'au moins 7 sur l' échelle de Richter...
AVANTAGES :
1 - Pour les apprentissages.
La classe multi-niveaux crée une dynamique de diversification des apprentissages.
a) l' auto-apprentissage: l'hétérogénéité et la non-ubiquité de l'enseignant oblige à des plages d'autonomie, où l'enfant sera seul face à sa recherche. L'organisation de la classe doit faire qu'il est "seul", mais pas "abandonné".
b) l' inter-apprentissage: la différence de niveaux permet l'apprentissage entre pairs, ce qu'on appelle parfois l'effet vicariant. Tout simplement, l'entraide entre enfants, voire l'imitation. Et aussi parrainage, monitorat...
c) le rétro-apprentissage: J'entends par là le bénéfice que retire "celui qui sait" en expliquant à celui "qui ne sait pas". (On apprend en tentant d'expliquer).
2 - Le vécu psycho-affectif.
La classe multi-niveaux modère la violence inhérente à tout groupe d'individus.
a) le mélange d'âge, de taille et de force dans la même classe aboutit généralement à plus de tolérance chez les enfants.
b) le roulement d'année en année ( en gros, 1/3 de nouveaux arrive à la rentrée, 1/3 change de cycle ou va en 6° crée une continuité, donc une stabilité favorable à la sérénité de la classe.
c) les problèmes de dominant-dominé trouvent leur solution dans la durée. On peut devenir leader à son tour (ce qui n'est pas le cas d'un enfant suivant une scolarité à cours unique).
3 - L' organisation de la classe.
La classe multi-niveaux oblige à une organisation particulière, qui tend à devenir coopérative. Sinon, c'est l'enfer pour les élèves mais aussi pour l'enseignant.
a) l' organisation se complexifie obligatoirement. Ce qui implique, pour que le fonctionnement soit viable, une participation accrue des enfants à cette même organisation.
b) la part du maître se déplace, et ne peut plus être majoritairement frontale. Ce qui impulse une évolution adaptative de l'enseignant.
4 - La prise en main par un remplaçant.
Là, je fais l'impasse. D'abord, parce que c'est un cas particulier, et qu'ensuite l'on ne fait pas classe en vue d'un éventuel remplacement. Je dois préciser tout de même, au vu de mon expérience, que c'est souvent un avantage pour un remplaçant de quelques jours, de tomber sur une classe multi-niveaux de type coopérative. L'autonomie acquise par les enfants permet la plupart du temps de faire le joint...
5 - Les relations avec les parents.
C'est aussi un avantage, en particulier pour les parents des "nouveaux": les parents "d'anciens" leur sont une source facile d'information, autre que les "rumeurs" concernant le nouvel instit de leur enfant...
6 - L'efficacité.
La classe multi-niveaux permet en début d'année un démarrage beaucoup plus rapide, puisque les 2/3 des enfants et l'enseignant se connaissent déjà.
a) l 'organisation de départ est déjà connue des "anciens", et vite acquise des nouveaux par une sorte de compagnonnage pratique.
b) l'enseignant connaît déjà, dès la rentrée, le niveau, les compétences et le comportement d'une bonne partie de sa classe. Ce qui raccourcit d'autant les évaluations de départ et permet donc une entrée plus rapide dans les apprentissages.
7 - Les relations entre classes.
Je n'ai pas cette expérience, mais c'est évident : il n'y a plus les classes des petits et les classes des grands. Avec tout ce qui en découle dans les relations de récré... Par ailleurs, il me semble que la communication inter-classe doit se trouver favorisée, puisque chaque classe a le même mélange d'âge et de niveau...
INCONVÉNIENTS :
Ce sera plus rapide, je n'en vois qu'un seul pour les enfants : celui d'avoir à supporter pendant 3 ans la tête d'un instit qu'ils n'aiment pas. C'est le même pour les enseignants, d'ailleurs, à une différence près: eux sont payés pour que les relations soient les meilleures possibles avec n'importe quel enfant. On appelle ça mettre de l'eau dans son vin... et c'est bien plus facile sur plusieurs années, foi d'expérience...
Michel Barrios
Ecole publique
31260 Montsaunès