POUR QUE LE CONSEIL NE SOIT PAS UN TRIBUNAL
Intervention de Sylvain Connac au colloque de pratiques coopératives - "Le conseil avril 2014
10h01 – Ouverture du conseil de la classe de CM1 10h07 – « Je critique Zoé parce qu’elle fait mal son métier de chef de rang. »
10h11 – « C’est normal qu’on lui dise de partir, elle veut toujours faire la chef. »
10h12 – « De toute façon, Zoé, tu dis n’importe quoi. »
10h14 – « J’en ai assez que Zoé me regarde tout le temps. »
10h23 – « Je propose qu’elle soit exclue de la classe. »
10h27 – fermeture du conseil
Sans aucun doute, le conseil est la technique éducative la plus centrale mais aussi la plus risquée des pédagogies coopératives. Pour les enseignants, parce qu’elle peut exacerber les conflits dans la classe. Pour les enfants au cœur des critiques, parce que ces expériences peuvent endommager fortement l’estime d’eux-mêmes. Or, le but du conseil est d’abord de fédérer les enfants autour de projets dont ils sont auteurs, ensuite de contribuer à ce qu’ils soient heureux d’être ensemble pour travailler à l’école. Engageons-nous pour un conseil sans critique !
« Qui c’est, l’conseil ?» (D’après le titre du livre de C. Pochet et F. Oury (Matrice, 1978))
Le conseil d’enfants est une réunion démocratique. Elle cherche à harmoniser la vie du groupe en associant les participants. C’est l’occasion de faire l’état des lieux des projets personnels ou collectifs, d’aborder les propositions, les problèmes, la coopérative, les félicitations mais aussi tout ce qui concerne le symbolique dans la classe : permis, brevets, ceintures, responsabilités. Le conseil coopératif se réunit périodiquement. Il est la clé de voûte de la classe coopérative. Son but est de réguler les événements passés et d’organiser ceux à venir. En partie ritualisé par des maîtres-mots (des formules récurrentes qui balisent les échanges), il autorise une liberté d’expression aux membres de la classe.
Animé par un président et un secrétaire chargé de dresser une trace écrite des décisions prises, il est guidé par différentes étapes :
1 – Ouverture du conseil et rappel des règles de fonctionnement par le président de séance : « On ne se moque pas, on écoute celui qui parle, on a le droit de se taire, les enfants qui ont le moins parlé sont prioritaires. »
2 – Relecture et vérification des décisions prises lors du dernier conseil
3 – Les propositions : règles de classe, projets collectifs, projets individuels, … (Les décisions se prennent suivant leprotocole proposé par Jean Le Gal : Proposition – Discussion – Décision – Application)
4 – Les problèmes et difficultés au sein de la classe
5 – Les félicitations, les encouragements et les remerciements
6 – Relecture des décisions prises et clôture du conseil (évaluation de la présidence et choix du prochain président deséance)
Aux origines des conseils d’enfants
C’est à Janusz Korczak que l’on doit l’introduction des pratiques des conseils coopératifs en pédagogie. Pédiatre polonais de la première moitié du XXème siècle, il s’efforçait de proposer une éducation de qualité aux enfants abandonnés, aux orphelins et aux enfants juifs du ghetto de Varsovie. Sa pédagogie consistait à traiter chaque enfant comme une personne à part entière, avec le même respect qu’envers un adulte. « Les enfants ne sont pas de futures personnes ; ce sont déjà des personnes ... Les enfants sont des êtres dont l’âme contient les germes de toutes les pensées et de toutes les émotions qui nous animent. La croissance de ces germes doit être guidée en douceur. » (J. Korczak «Le développement de l’idéal de l’amour du prochain au XIXe siècle », dans : Lectures pour tous, 1899, no. 52.)
Pour faire vivre ses idées, J. Korczak a mis en place diverses institutions dans ses maisons d'orphelins :
- Le tableau d'affichage : pour communiquer les informations essentielles
- La boîte aux lettres : pour une requête ou réponse personnelle
- Les fêtes et les ateliers : pour rompre avec le rythme quotidien et animer
- Les permanences : des taches matérielles engendrées par la vie à l'internat
- Le comité de tutelle : pour organiser le parrainage d'un nouvel élève par un ancien
- Le plébiscite : pour voter un statut dans la maison
- Le parlement : pour conformer ou rejeter les propositions du conseil
- Le tribunal : pour régler les rapports à la loi, les conflits et les transgressions. La règle de base n'était pas de punir mais plutôt de pardonner et d'attendre que celui qui a mal agi se corrige de lui-même. Il devait protéger la communauté grâce au code que J. Korczak avait créé. Le tribunal, par rapport à ce code, donnait son verdict.
Le conseil : pour les prises de décisions et l’attribution des catégories civiques
De nos jours, le conseil de coopérative a une autre visée que celle initiée par J. Korczak. Il s’inscrit principalement dans
une logique d’éducation à la citoyenneté, par la pratique ordinaire des fonctionnements de la démocratie. Il permet de faire de la classe le terrain d’entraînement de la vie citoyenne, en considérant les camarades comme les partenaires privilégiés de cette vie civique. C’est pour cela que l’on parle de mitoyenneté. Avoir d’abord le souci de la rencontre du voisin.
Pratiquement, un conseil coopératif de classe poursuit plusieurs objectifs :
- Organiser les projets collectifs : les définir, les adapter, se répartir les tâches, évaluer le réalisé
- Entretenir le cadre législatif de la classe : les règles
- Suivre et gérer la coopérative de la classe
- Autoriser les initiatives individuelles, les projets personnels : en prendre connaissance, en mesurer les
- contraintes, travailleur leur faisabilité en raison des contingences de la classe
- Encourager les efforts et valoriser tout ce qui fonctionne
- Distribuer les responsabilités
- Activer l’intelligence collective du groupe pour élargir les pistes de résolution de problèmes.
pistes pour faire disparaître les critiques
Pour faire véritablement vivre un conseil coopératif, le mieux est d’en bannir les critiques. Ou, tout du moins, leur conférer un statut exceptionnel par rapport aux autres points de l’ordre du jour. En priorité, éviter de médiatiser ce qui dysfonctionne et de mettre en porte-à-faux les enfants, surtout les plus fragiles.
Pour cela, trois pistes existent :
- Former les enfants au "message clair" (Jasmin, D. (1993) Le conseil de coopération, Editions de la Chenelière/Connac, S. (2009) Apprendre avec les pédagogies coopératives, ESF Editeur, pp 206-265.)
- Externaliser les problèmes (Scherrer, D. (2011) Echec scolaire, une autre histoire possible, L’Harmattan)
- Rechercher les consensus plutôt que de voter.
Former au message-clair
Lorsque les enfants sont formés au message clair, ils peuvent essayer de résoudre leurs chicanes ainsi (à l’abri du regard des autres) :
« Je vais te faire un message clair. Quand tu m’as traitée de "enceinte", ça m’a fait honte devant mes amies. As-tu compris ? »
Cette technique de gestion non-violente des conflits s’appuie sur un double énoncé :
-
- La description des faits
- L’expression des émotions
Si la réponse ne satisfait pas cette enfant, elle obtient le droit d’en parler à son enseignant(e) ou au conseil.
Environ 8 différends sur 10 trouvent une solution via un message clair.
Externaliser les problèmes
Lorsqu’un problème survient, les acteurs de ce conflit ne sont pas le problème. Un vol ne témoigne de voleurs. Un coup ne dénonce pas des enfants violents. Une insulte ne désigne pas un enfant mal élevé.
Externaliser, c’est s’intéresser aux faits, et ainsi, refuser d’incriminer les personnes qui sont en jeu.
En se centrant plus sur les événements que sur les enfants, le conseil travaille les organisations du groupe. Il évite alors de pointer tel ou tel camarade, ce qui modifie le risque de vindicte.
« J’ai un problème » remplace donc la partie « Je critique. »
Rechercher le consensus
N’user du vote qu’en ultime recours, c’est-à-dire si l’actualité du groupe exige une décision rapide.
Voter n’est pas une pratique démocratique si cela consiste à nier les minorités par la force du nombre de la majorité.
Face à plusieurs propositions, il est possible de :
-
- Chercher un consensus (qui satisfait tout le monde)
- Reporter la décision au prochain conseil, laisser mûrir les réflexions
Si un choix s’impose entre plusieurs propositions valables, organiser jusqu’à décision :
-
- un tirage au sort
- un vote à bulletin caché
- un vote à main levée
Bannir les critiques
Eviter les critiques lors des conseils coopératifs, c’est refuser de le transformer en tribunal. C’est donc augmenter ses chances d’améliorer les relations entre les enfants et les inviter à s’associer autour de projets qui les animent. Ils les conduiront alors vers de meilleurs apprentissages.
F. Oury utilisait la métaphore du corps : le conseil comme cœur, œil et cerveau de la vie du groupe. (Oury, F., Vasquez, A. (1971) De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle, Matrice.)
Il parlait également de rein de la classe. Cette quatrième fonction du conseil, d’épuration des conflits, ne consiste pas à dégrader l’image que les enfants ont d’eux-mêmes. Elle précise plutôt qu’en réfléchissant à plusieurs, on envisage plus largement les pistes de résolutions de problèmes. C’est une précision qui devrait rendre plus agréable la vie des élèves des classes coopératives et plus heureux le quotidien de leurs enseignants.
Bibliographie sur les conseils coopératifs d’enfants :
CONNAC S., JOFFRE E., TIBERI D., Fichier d’Incitation à la Coopération et à la Citoyenneté, Editions ICEM, 2008. CONNAC S., Apprendre avec les pédagogies coopératives, ESF Editeur, 2009.
CREMIEUX C., La citoyenneté à l’école, Syros, 2001. HEVELINE E. et ROBBES B., Démarrer une classe en pédagogie institutionnelle, Hatier, 2000.
JASMIN D., Le conseil de coopération, Editions de la Chenelière, 1993.
KORCZAK J., Comment aimer un enfant, Robert Laffont, 1978.
LAFFITTE R., Mémento de la Pédagogie Institutionnelle, Matrice, 1999.
LE GAL J., Le conseil dans la classe, Editions ICEM, 2007.
LE GAL J., Les droits de l’enfant à l’école, pour une éducation à la citoyenneté, De Boeck et Belin, 2002.
PAIN J., De la Pédagogie Institutionnelle à la formation des maîtres, Matrice, 1994.
POCHET C., OURY F., Qui c’est l’conseil ?, Matrice, 1978.