L’indiscipline scolaire : analyse et réponses

Intervention d’Erick Prairat – IUFM de Montpellier – 6 décembre 2006

Professeur à l’université en Sciences de l’Education de Nancy II – directeur du LISEP

Ces débats sur la question de la discipline sont contradictoires : ils se manifestent d’un côté de la part des parents pour qui le critère de la discipline est important et des enseignants pour qui (St Antini) il s’agit d’une préoccupation majeure. Cela va bien au-delà des jeunes enseignants.

D’un autre côté, il est dit que ces débats sont inactuels, incongrus, comme si cela ne faisait plus partie de l’actualité pédagogique.

Il n’y a pas d’école sans discipline. Mais de quoi parle-t-on ?

Le terme de discipline a souvent une connotation négative, en partie en raison de « surveiller et punir » de Foucault. Pour lui, il s’agit d’une technologie de façonnement du corps.

Définition à deux étages :

® Ce qu’elle est : l’ensemble des dispositifs et des règles de conduite qui visent à garantir le déroulement normal des activités. La discipline permet, autorise, rend possible.

® Ce qu’elle vise : Elle vise à faire entrer chaque élève dans une culture de la responsabilité. On doit prendre conscience de la portée de nos actes.

Penser la discipline de manière positive comme une capacité à se donner des règles en fonction d’objectifs et de valeurs.

1 – Remarques liminaires sur l’indiscipline

On parle d’indiscipline scolaire et non de violence scolaire parce que les violences sont celles reconnues par le pénal et ne valent pas qu’à l’école. A l’inverse, il est pertinent de parler des bruits de fond, des chahuts, des bousculades, qui sont des indisciplines scolaires. Distinguons indiscipline et violence.

L’exigible : les enseignants ne savent souvent plus très bien ce qu’ils peuvent exiger en matière de comportement. C’est devenu flou, mal défini. Des formes pédagogiques académiques ont pratiquement disparu des classes, l’interrogation orale par exemple. Cela ne provient pas d’une fatwa didactique ministérielle mais plutôt d’enseignants qui n’arrivent pas forcément à obtenir le silence en début de cours. Cf. « Eloge des pédagogues » d’Antoine Prost (Seuil). Non seulement l’exigible n’est plus défini mais souvent il ne semble jamais acquis de manière définitive : il faut sans cesse reconstruire les situations de travail, ce qui est terriblement épuisant pour les enseignants.

Les phénomènes d’indiscipline ont changé de nature. Nous sommes passés de chahuts traditionnels à des chahuts annoniques. Les chahuts traditionnels correspondent à des moments délicats qui participent, par leur transgression ritualisée, à l’intégration des règles scolaires. Les chahuts annoniques ne sont plus intégrateurs, ils ont lieu un peu tout le temps, sont chroniques, pas du tout ritualisés qui témoignent de la non-reconnaissance de la règle : elle n’est pas connue, n’est plus porteuse de sens. L’indiscipline contemporaine est plus une ambiance que de l’observable : ensemble d’attitudes qui tendent moins à renverser l’ordre normatif qu’à l’affaiblir, l’éroder.

L’indiscipline fait souffrir physiquement et physiologiquement les professeurs. Ils vivent l’indiscipline de manière ambivalente : coupable car le chahut est ressenti comme une incompétence et victime car les élèves moquent les convenances, parodient les adultes, l’indiscipline est vécue comme une négation de l’exercice de l’autorité, comme un danger identitaire.

On peut risquer une typologie de l’indiscipline, avec les limites de simplifications du réel que cela revêt :

-                            souci de se dégager du travail scolaire, de son emprise. Tâche pénible, insignifiante : fonction d’évitement du travail et de l’école

-                            fonction d’obstruction : empêcher le déroulement normal du cours, pervertir les règles de fonctionnement, troubler l’enseignant : de l’agitation jusqu’au défi

-                            contestation des règles du jeu, du contrat de travail, de ce qui s’est établi sans le consentement de l’élève. La fonction est de vouloir renégocier les règles du jeu

2 – Eléments d’explications : comment en rendre compte

Il n’y a pas de théorie globale et unique : toute une série de facteurs interfèrent pour produire l’indiscipline. Il faudrait même distinguer les écoles.

6 éléments :

-                     La massification : arrivée de l’intégralité d’une classe d’âge jusqu’à l’université. Il s’agit d’un tremblement de terre démographique que l’école n’a jamais rencontré. Modification quantitative de la donne mais aussi qualitative : des élèves sont arrivés et ignoraient à peu près tout des habitus et de la culture scolaire : les œuvres réalisées par l’Homme sur l’Homme et aussi les rites, les coutumes partagés dans un lieu.

-                     La rupture de contrat : il n’y a pas très longtemps, aller au lycée permettait d’obtenir un emploi. Il s’agit d’une promesse que faisait l’école : si tu travailles bien, tu y arriveras. Il y a un décalage entre ce qui est exigé et ce qu’il est parfois raisonnable d’exiger pour certains. L’enseignant représente une institution qui déçoit. une enquête sur l'absentéisme a l'école touche les seconds d'une fratrie dont les ainés sont sans travail . Quand un jeune fait l’expérience d’un monde sans limite, c’est un miracle s’il ne sombre pas dans la violence. Pourtant, l’école n’est pas laxiste, elle fait un vrai travail sur la règle, des adultes sont présents, mais la promesse est difficile. En septembre 2005, c’est révélateur de noter que pour la première fois, les grands frères et les mères sont restés en retrait, dans leur rôle traditionnel de modérateurs, au profit des barbus.

-                     Les effets de la crise socio-économique sur les familles. Certaines sont dans de telles difficultés qu’elles ne peuvent plus assurer le suivi scolaire. Il s’agit de familles démissionnées plus que démissionnaires. Il y a des familles débordées comme il existe des professeurs débordés. Au sein des classes moyennes, les familles sont des lieux où on prend toutes les bonnes choses de l’éducation et où on déleste le reste aux associations, aux clubs.

-                     L’importance excessive du jugement scolaire : il porte sur l’activité scolaire n’avait pas avant de signification au-delà de l’école. Ce n’est plus le cas. A l’école, il faut maintenant réussir mieux que les autres .Dire « t’es un crétin, t’as pas d’avenir. » c'est activer une réaction de résistance à une institution qui dévalorise. L’indiscipline est une forme de contestation. Faisant référence à H. Laborit, pour qui mettre un être vivant dans un contexte agressif entraîne 3 types de comportement : (les solutions naturelles face à la violence) soumission, fuite, lutte. L’élève en difficulté devient un élève difficile. C’est une manière de survivre psychologiquement à la violence scolaire.

-                     Le télescopage axiologique – le conflit de valeurs entre ce qui est prôné par la société (immédiateté, zapping) et par l’école (abnégation, effort, gratuité, plaisir différé). L’école est perçue exigeante, trop pour certains.

-                     La crise de la fonction symbolique dans nos sociétés. Affaiblissement généralisé de ce qui nous relie aux autres : les interdits, la loi, la règle. Il faut refaire de l’ensemble. « Gare aux éclats quand on dégoupille le symbolique » (F. Deligny -  Graine de crapule).

L’école existe pour former le citoyen mais ne peut à elle-seule assumer toutes les blessures du social et pourtant elle en hérite. Elle ne peut panser toutes les plaies sociales

Il y a des niveaux de réponses différents :

- au niveau national avec des politiques gouvernementales (alléger les classes, réduire la taille des établissements...),

- au niveau académique,

- de l’établissement,

- de la classe.

3 – Propositions sans remède miracle

® Travailler à l’élaboration d’un contrat de vie et de travail très visible. Tout collectif d’individus devant cohabiter est dans l’attente d’une structure qui vient réguler ses tâches, ses normes de comportements. Poser des règles de classe à partir des types d’activités, des différents moments, … Il est bon que ces règles signifient clairement des interdits et des possibles, des droits. Cela doit être lu comme pouvant conjurer l’écueil de l’impuissance (tout est interdit) et celui du fantasme de l’omnipotence, du tout est possible.

« Mode d’emploi du professeur »

® Avoir un lieu d’institutionnalisation pour créer du lien social, pour discuter des règles, pour modifier, préciser, rappeler (Conseil) : instance par laquelle une classe se donne du temps pour parler et statuer de ses règles. On peut prendre la parole sans courir de risque, dans le respect de certaines règles. Difficile au collège mais il existe l'heure de vie de classe, faisons-la fonctionner.

® User de sanctions éducatives : connaître les textes, avoir une finalité politique qui réaffirme la centralité de la règle, une finalité éducative qui responsabilise l’enfant (ses actes produisent des effets qu’il doit assumer), avoir une finalité psychologique qui marque un coup d’arrêt. Se mettre d'accord sur un credo minimal et le faire savoir aux parents. Le climat scolaire correspond à une culture d’établissement, des styles de relations interpersonnelles et la qualité du système disciplinaire dans sa lisibilité.

® Introduire ou maintenir des rituels : toutes les sociétés ont des rituels. On ne tient pas uniquement ensemble par du droit mais aussi par des rituels d’interactions. Ils produisent du lien social, quitte à les inventer.

® L’écriture comme remédiation : par exemple, la « fiche de réflexion » d’Yves Cottet consiste à être un support de mise en mot pour un enfant isolé suite à un comportement déviant.

® Utiliser les procédures pédagogiques positives et impliquantes.

On socialise en instruisant et vis versa. La discipline est déjà inscrite dans la manière dont les apprentissages sont permis. Deux modalités de travail : l’évaluation formative et la différenciation pédagogique. Savoir faire entrer de manière variée et évaluer sans dévaluer.

® Permettre aux élèves de faire la différence entre arbitraire symbolique et arbitraire social, entre normativité et normalisation. Les maths sont constituées par des normes qui les bâtissent. Si on ne les respecte pas, on n’entre pas dans la discipline. Il y a des lieux et des moments où c’est en se soumettant qu’on a de la force. Assumer cette part de "violence symbolique", le fait de devoir venir à l’école et devoir y travailler tout en veillant à ne pas surnormer l’espace scolaire.

Une formation sur ces questions de discipline ne peut pas se faire selon le mode didactique, à partir de transmissions d’outils. Se joue aussi son propre rapport au pouvoir. Qu’est-ce que l’on est capable d’assumer dans la classe ? On est renvoyé à sa propre éducation, à sa propre histoire. On enseigne à partir de ce que l’on sait mais aussi à partir de ce qu’on l’on est.

A partir des notes prises par Sylvain Connac et Claudine Vaugelade

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