Pour une école citoyenne à la mesure de tous : des enfants médiateurs

 

Dans l’acte éducatif, l’éducateur ne peut pas se considérer comme un tuteur. L’image ne convient pas. D’abord parce que des enfants ne sont pas des plantes et une éventuelle fertilité du terrain ne garantit pas leur épanouissement. Ensuite parce que par définition, un tuteur est celui qui donne la bonne direction à suivre, sans d’ailleurs se demander si c’est la bonne. La coercition est trop forte. Enfin, parce que si le tuteur disparaît et que la plante n’est pas assez forte, elle s’écroule puis meurt.

S’il n’est pas tuteur, qu’est l’éducateur ?

Dans notre école, nous avons choisi de permettre aux enfants de grandir sans pour autant être de notre place d’adulte leurs tuteurs. Nous avons décidé de leurs permettre de s’engager et, dans l’action, par échecs et réussites, de se former leur colonne vertébrale de futur citoyen, de futur adulte. En somme, beaucoup de fonctions traditionnellement occupées par des adultes le sont par des élèves. Certes, les résultats ne sont pas toujours aussi efficaces qu’on le souhaiterait, mais les motivations sont authentiques et les apprentissages à la socialité certains.

Notre école accueille près de 200 enfants d’un quartier défavorisé de la ville. Comme dans la plupart des établissements primaires, dans la cour, les élèves se chamaillent et si rien n’est fait, la seule solution qui risque de se présenter à eux reste la violence. C’est surtout pour prévenir plutôt que devoir gérer ces situations que nous nous sommes lancés dans la construction du dispositif pédagogique qui suit.

Le conseil de coordination

L’ école n’est pas considérée comme une école Freinet, il s’agit plutôt d’un heureux regroupement d’une majorité d’enseignants sensibilisés à la parole de l’enfant, à leur expression libre et à la co-construction des règlements. Dans la majorité des classes, les élèves ont la possibilité d’agir pour le bien-être de leur groupe à travers des conseils d’élèves où, à des niveaux divers, des décisions de vie sont prises. A l’échelle de l’école, un conseil a été créé. Parce que sa vocation était de fédérer l’ensemble des dynamiques de classe, nous l’avons appelé conseil de coordination.

Ce conseil de coordination est constitué de délégués : 1 enfant par classe (2 pour les CP), 1 enseignant par cycle, 1 délégué aide-éducateur et 1 délégué du personnel d’entretien. Il se réunit pendant les heures de classe à chaque fois que le besoin s’en fait sentir, c’est à dire une fois par mois environ. Il est animé par un président et fonctionne comme tout bon conseil d’enfants (voir les maîtres-mots du président) : on ne se moque pas, on lève le doigt pour demander la parole et sa voix est la même que celle des autres délégués lorsque le président organise des votes. En fait, ce conseil est plus un lieu de concertation et de négociation qu’un espace de réflexion. Les véritables propositions sont émises dans chacune des classes, lorsque chaque délégué demande à ses copains et copines ce qu’ils proposent pour que la vie à l’école se passe mieux. Tous types de sujets y sont abordés : le foot dans la cour, le déplacement dans les couloirs, les projets pour proposer des goûters pendant les récréations, … et tout ce qui concerne la coopérative de l’école. En effet, trois délégués sont chaque année élus pour constituer le bureau de la coopérative et, le cas échéant, faire du conseil de coordination le conseil de coopérative de l’école.

A ce jour, nous n’avons pas encore résolu tous les problèmes de ce conseil. La place des plus jeunes nous interroge encore, surtout lorsque les débats sont enflammés et que ce sont les plus grands qui monopolisent la parole et la compréhension. Les enseignants de cycle II ont un travail certain de préparation de ces conseils à faire avec leur classe et leurs délégués.

Le règlement de cour

Au début de l’expérience, les délégués ont rapidement parlé en conseil de coordination des petits conflits qui naissaient dans la cour parce que certains ne respectaient pas forcément les autres. L’absence d’un règlement de cour a été pointé et il a été décidé d’en élaborer un avec tous les membres de l’école. Dans leurs classes, les délégués ont pensé huit lois et pour chacune d’elles ont dressé une liste de comportements contraires à ces lois. Ne cachons pas que ce travail nécessite un certain nombre de va-et-vient  entre les classes et le conseil et donc que cela prend quelques mois la première année.

Le permis à points

Toujours pour permettre les engagements des enfants sans forcément une tutelle continue des adultes, pour consolider ce règlement de cour, les enseignants de l’école ont proposé aux enfants la mise en place d’un permis à points. Le permis à points, c’est comme pour nous avec notre permis de conduire. Nous disposons d’un capital de points pour circuler et lorsqu’on commet une infraction, on peut perdre des points. Pour en récupérer, il faut attendre un certain délai ou effectuer des stages de sensibilisation à la prévention routière.

C’est simplement ainsi que cette idée a été présentée au conseil. Elle a été très majoritairement acceptée et même a suscité de vifs intérêts de la part des élèves de l’école. Le conseil s’est alors attaché à pondérer les comportements contraires avant de communiquer les résultats à l’ensemble.

Enfants et adultes ont alors chacun reçu leur permis à points. Les documents sont regroupés dans une boîte descendue à chaque récréation. Il y est expliqué que pour récupérer des points, il suffit de remplir un contrat qui consiste à vouloir rendre service à l’école. Souvent, les enfants choisissent d’aider les plus petits (tailler les crayons, aider à ranger le matériel, arbitrer les matchs de foot, …) ou de faire de la cour un lieu plus agréable. 

Il est bien évident que l’expérience a rencontré certaines barrières. C’est pourquoi le conseil a élaboré un second document appelé le code de fonctionnement du permis où il est précisé comment et pourquoi ce permis existe et doit être utilisé. A titre d’exemples, les délégués ont voté pour que ce conseil ne serve pas dans les classes ou encore, qu’en fin de l’année, les élèves disposant de tous leurs points sur le permis reçoivent un diplôme de bon citoyen.

Petit à petit, le permis a trouvé ses marques dans l’école, les enfants s’en sont appropriés le fonctionnement et les relations dans la cour sont devenues beaucoup moins tendues. Au lieu de rendre la baffe qu’il venait de recevoir, chaque élève pouvait alors choisir de prévenir un adulte pour un retrait de points. En fin d’année, nous proposons un questionnaire à tous les enfants de l’école. Dans leur grande majorité, ils y expriment à chaque fois un sentiment de sécurité et de justice face à ce permis. Les plus jeunes se sentent protégés des plus grands, ils expliquent même apprécier recevoir leur aide. Tous disent que le permis les aide à contrôler ce qui se passe en eux quand ils ont envie d’être violents. C’est en somme ce que nous espérions dans le sens où le permis, dont nous restons les garants, est un outil qui les conduit à se construire une future personnalité indépendante de notre tutelle.

Les médiateurs de cour

Lors du bilan des adultes de l’action menée, beaucoup se sont plaints du caractère punitif que revêtait parfois le permis dans le traitement de situations particulières. Il arrivait souvent que la seule alternative proposée aux élèves était un retrait de points alors que pédagogiquement des formes plus éducatives pouvaient être envisagées. Pourtant, la très grande satisfaction des enfants et la nette simplification des relations dans la cour nous engageaient à poursuivre l’expérience.

C’est alors que nous eûmes l’idée, à l’image de ce qui se passe dans certains collèges français ou certaines écoles canadiennes, de préparer nos élèves à la médiation, c’est à dire une nouvelle alternative au traitement des conflits autre que la sanction et certainement plus éducative. La forme la plus adaptée à nos attentes n’était pas celle qui consistait à proposer des médiations aux enfants en opposition mais bien à permettre à des élèves capables d’effectuer eux-mêmes et entre eux leurs propres médiations. L’enjeu était double : permettre aux élèves en conflit d’apprendre à résoudre leurs petites histoires autrement qu’avec des adultes et permettre à des enfants médiateurs d’en être les garants véritables. Pour nous, il n’était pas question d’en faire de nouveaux surveillants de cour. Leur rôle consistait simplement à proposer une tentative de désamorçage des tensions avant que celles-ci ne deviennent trop fortes et ne se transforment en faits de violence. Globalement, un médiateur devait être dans la cour un enfant comme les autres mais reconnu par ses pairs comme en mesure de les aider le cas échéant. Le permis à point n’avait alors aucune raison de disparaître puisqu’il continuait de fonctionner en cas d’infraction ou d’échec des médiations. Cependant, nous comptions bien voir sa place diminuer puisque chacun disposerait alors d’une alternative à la sanction.

Nous avons alors décidé, pour diverses raisons, que seuls des élèves de cycle III pouvaient devenir médiateurs. Des publicités ont été affichées, un appel à candidature fut fait. Parmi la quarantaine de volontaires, nous ne pûmes retenir que la participation de quinze enfants. Ceux-ci avaient manifesté le désir de devenir médiateur et pour cela, de recevoir une formation sanctionnée par un diplôme. A noter que ces élèves ne sont ni les meilleurs des classes, ni « les plus sages »…

Pendant douze séances de ¾ d’heure chacune, ces enfants ont suivi avec assiduité les ateliers de médiation. Dans un premier temps, nous les avons conduits vers une connaissance de l’idée de non-violence, notamment à partir de la découverte de personnages comme Gandhi ou Martin Luther King. Au départ, rien n’était gagné parce que beaucoup disaient que la seule manière de répondre correctement à la violence était la violence, histoire de ne pas perdre la face. Une fois l’alternative non violente comprise, de nombreux participants l’envisagèrent comme une solution équitable pour la résolution des conflits. Ceci nous permit d’entrer dans la seconde partie de la formation : l’entraînement aux techniques de médiation. Nous avions auparavant adapté ce qui existe en collège pour en permettre la pratique par des enfants de 8 à 11 ans. Chez nous, faire une médiation c’est, dans une écoute mutuelle, d’abord bien décrire la situation, ensuite exprimer les sentiments créés et enfin tenter de trouver dans la coopération un consensus où personne n’est perdant mais où tout le monde est gagnant. De séances en séances, les enfants se sont entraînés à ces techniques, surtout par l’intermédiaire de jeux de rôles qui le mettaient de manière fictive dans la peau de la victime, du persécuteur ou du médiateur.

Au final, sur les quinze enfants inscrits, treize sont devenus médiateurs, les deux autres ayant choisi d’abandonner la formation en cours de route. Leurs débuts n’ont pas toujours été très faciles d’autant plus que la plupart des élèves de l’école, désireux de savoir exactement ce que c’était, n’hésitaient pas à simuler des conflits pour avoir affaire à eux. Pourtant, au bout de quelques semaines, les effets ont commencé à se faire sentir, par la baisse des demandes de médiation et surtout par la quasi disparition des situations de violence dans l’école. En fin d’année, nous avons organisé une « fête des médiateurs » où nous avions invité officiels et média locaux, histoire de souligner aux yeux des enfants la force de l’engagement citoyen dont ils avaient fait preuve.

Cette année, la demande est forte pour suivre la formation, si bien qu’avant de préparer les enfants, nous avons décidé d’initier un plus grand nombre d’adultes-formateurs.

Nous avons l’impression que le dispositif conseil de coordination – règlement de cour - permis à points – médiateurs de cour forme un tout et contribue très largement au bien-être des enfants dans la cour mais aussi dans leurs classes respectives. Il ne faut pas nier non plus qu’il est plus agréable aussi pour nous de voir des temps de récréation où il n’est plus question de séparer des belligérants mais plutôt de discuter avec les enfants autour de nous. Beaucoup de choses se passent pendant ces moments de pause. La confidentialité des médiations nous interdit notre présence si bien que nous ne sommes pas au courant de tout ce qui s’y passe. Peu importe, notre visée était justement d’apporter aux élèves des outils à leur mesure et leur permettant d’agir en tant que futurs citoyens titulaires de libertés éducatrices.

Sylvain CONNAC – Ecole Antoine BALARD – Montpellier

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