Des permis de circulation libre et responsable à l’école Balard
L’école Balard accueille près de 200 enfants d’un quartier populaire de Montpellier. L’équipe s’est investie dans un projet d’école coopérative. Cela fait maintenant plusieurs mois que quelques enseignants intéressés se sont penchés sur cette idée de permis de libre circulation pour les enfants de l’école. L’intention de départ était qu’en complément du permis à points qui existe dans la cour, les champs de libertés soient étendus et que ce ne soit pas que les enfants posant problème qui bénéficie de l’attention de tous.
Nous avons donc puisé dans divers comptes-rendus d’expériences : celles faites par l’école Curie de Bobigny, par l’école Ange Guépin de Nantes, par l’école Lavoisier de Gagny, par l’école primaire de Puget et celle de SaintSorlin-en-Bugey. Au final, nous avons pu proposer aux collègues un projet qui après quelques demandes d’éclaircissements a été accepté.
En résumé, les enfants qui possèdent ce permis peuvent descendre seuls en récréation, remonter de la cour, rester dans leur classe, aller aux toilettes, se rendre en salle informatique ou en BCD en fonction des places. Ils s’engagent alors à ne pas crier, à ne pas courir dans les couloirs ou bousculer d’autres enfants, à ne pas « se balader » pour rien dans les couloirs, à respecter le matériel et les personnes et à goûter à l’extérieur. Ce permis peut être retiré par n’importe quel adulte si ces engagements ne sont pas tenus. La première fois, ils le perdent deux jours, la deuxième une semaine, la troisième un mois, la quatrième une période et la cinquième pour tout le restant de l’année. Pour le récupérer, il faut en faire la demande au conseil de sa classe et en obtenir l’autorisation. Les enfants qui n’ont pas ce permis vont en récréation et se déplacent dans les escaliers et les couloirs avec leur enseignant.
A cette rentrée de Janvier, c’est donc toutes les classes qui se lancent dans cette nouvelle aventure. Les enfants avaient déjà exprimé lors du conseil de coordination (conseil d’élèves d’école) que l’idée les intéressait et qu’ils étaient prêts à s’y investir. Dans ma classe, les enfants ont fabriqué leur badge et j’ai attribué ce permis à tous sauf à quatre en qui il est difficile à ce jour d’avoir confiance. Ils le demanderont plus tard. Aux autres, j’ai bien insisté sur le fait qu’ils n’étaient pas obligés de l’accepter et que s’ils le faisaient, ils risquaient de le perdre s’ils ne faisaient pas attention.
Au soir de la première journée, tout s’est globalement bien passé, les enfants sont descendus et remontés de la cour sans bousculades ni cris ni retards. Quelques-uns uns ont toutefois perdu leur permis parce qu’apprenant que la salle informatique était disponible, ils s’y sont rués en courant. Ils le demanderont dans deux jours.
Sylvain – 01/04
Il y a quelques temps, je vous avais fait part d’une mise en pratique, à l’école Balard de Montpellier, de permis de circulations libres et responsables. Ce témoignage ne s’appuyait que sur quelques jours de situation. Depuis, plus d’un mois est passé et d’autres éléments sont apparus.
Tous les enfants de l’école (environ 200 issus de familles très défavorisées) ont donc eu la possibilité d’acquérir ce permis de CLR. Auparavant, il a fait l’objet d’une insertion dans le projet d’école et d’une présentation au conseil d’école, notamment auprès des parents délégués et de l’inspectrice.
A ce jour, le fonctionnement de l’école en a été modifié ne serait-ce par la quasi-disparition des rangs, ce qui d’ailleurs est un soulagement et une simplification pour beaucoup, enfants et adultes. Seuls les non titulaires du permis sont contraints à s’y mettre. Dans ma classe de 23 enfants, seuls 5 n’ont pas leur permis en ce moment. Une dizaine l’a perdu une fois et deux l’ont perdu deux fois.
Au départ, nombreux ont été ceux qui ont perdu leur permis, soit par inattention (sortir de la classe et se mettre à courir dans les escaliers pour aller plus vite jouer dans la cour), soit par stratégie de test. J’ai par exemple le cas d’un enfant qui, ayant obtenu son permis à 10h30, après plusieurs demandes lors du conseil de classe, se l’est vu retiré parce qu’en train de crier dans la salle informatique. Il a expliqué par la suite en conseil ne pas avoir vraiment compris ce qu’était ce permis. Cette phase de « tests » a duré près de deux semaines, certains enfants ont perdu jusqu’à deux fois leur permis avant de le récupérer en conseils. Après ce délai, les retraits ont considérablement diminués, chacun semblant en avoir compris les buts et modalités de fonctionnement.
Entre nous, enseignants, nous avons fait de rapides points, pour d’une part permettre un croisement des regards quant à cet élan de vie créé dans l’école et pour d’autre part nous mettre d’accord sur des conduites communes à tenir pour faire vivre ce permis. Par exemple, il a été question des remords que certains avaient à retirer des permis face à des comportements contraires évidents, d’automatismes d’enseignant à dépasser (s’emporter et protester au lieu de retirer les permis) et plus pragmatiquement, à un système d’inscriptions pour éviter les problèmes de file d’attente devant la salle informatique.
Il nous reste à résoudre le problème des badges portés par les enfants ; nous en avions fabriqué avec des pinces à linge et des supports en carton, mais ils ne résistent pas aux diverses sollicitations dont ils sont la cible. Si vous avez des idées …
En fait, il n’y a pas grand chose à dire, si ce n’est qu’aucun grave souci n’est apparu, que les enfants s’emploient à user de leur permis de manière très naturelle, que les déplacements dans les couloirs se font dans le calme, que la cour est bien moins « grouillante », et que tout ça, loin de parasiter la vie des classes, semble faciliter et humaniser la vie de tous.
A suivre …
Sylvain – 02/04
Bonsoir à toutes et tous,
Les vacances s’achèvent et je me rends compte que je n’ai pas encore honoré mon engagement de donner suite à la saga de la libre circulation permise à l’école Balard.
Ce message est donc une suite, la fin de l’histoire d’une année scolaire qui a vu des enfants se voir attribuer un permis de circulation libre et responsable dans l’école.
En fait, ce retard est surtout dû au fait que rien de spectaculaire ne s’est présenté dans notre quotidien pour témoigner d’une quelconque activité spécifique à l’origine de l’introduction de ces nouveaux espaces de liberté. Au final, aucun accident n’est survenu, aucune mésaventure n’est venue altérer les raisons qui nous ont conduits à proposer cette nouvelle organisation aux enfants.
En revanche, un nouveau climat est progressivement apparu dans l’école à tel point qu’il s’est très étonnamment installé sans trop de résistance.
Sont donc venus de l’ordre de la normalité le fait de voir des enfants rester en classe pendant les récrés, d’en voir d’autres se déplacer sans courir et sans crier dans les couloirs et les escaliers, d’avoir le plaisir de ne plus être contraints de se mettre en rang pour rejoindre une salle ou celui de ne pas à avoir justifier devant quiconque le besoin d’assouvir les plus naturelles des commodités. Certes, ça n’a dû avoir que très peu d’impact sur la réussite des enfants dans leurs tâches scolaires mais au moins, on peut dire que ce permis, en plus d’avoir conduit à une plus forte cohérence de notre projet éducatif, a contribué de manière certaine à l’établissement d’un climat plus respectueux de la nature humaine de l’enfance.
Comme j’avais pu le préciser, tous les enfants ne sont pas arrivés à conserver leur permis de circulation mais les situations où ils ont été amenés à en refaire la demande lors des conseils coopératifs de classe ont conduit à des apprentissages sociaux comparables à ce qui peut être suscité par des institutions prévues à cet effet, la ceinture de comportement notamment.
Du côté des collègues enseignants, le confort obtenu et l’humanité permise dans la relation aux enfants ont été soulignés de manière consensuelle. Certains ont même exprimé leur surprise de voir la chose s’être installée avec autant de facilité ce qui induit que dès la rentrée qui s’annonce, l’expérience devrait être reconduite tout naturellement.
Pour clore cette série de témoignages, je propose à la lecture des dires d’enfants au sujet de ce permis de circulation. Je leur ai demandé avant de se quitter de répondre à deux questions dont voici quelques unes des réponses les plus croustillantes.
+ Qu’est-ce que tu penses du permis de circulation libre et responsable ?
- moi, je dis qu’il est bien parce que nous pouvons nous déplacer dans l’école, rester dans la classe et aussi aller dans la salle informatique. (Ridoine)
- c’est bien parce que ça fait changer de comportement parce qu’avant j’avais souvent envie de faire des bagarres. (Kréolha)
- c’est bien parce qu’avec le badge on peut lire des livres pendant les récréations. (Raouïa)
- je pense que tout est intéressant sauf que quand tu fais une bêtise, on te le retire. (Hatem)
- je pense que ça sert beaucoup car il faut faire attention à son comportement quand tu vis avec d’autres personnes. (Virginie)
- c’est bien parce qu’on peut faire ses besoins tranquille. (Mehdi)
- je pense que c’est important parce que si quelqu’un s’ennuie et qu’il ne veut pas aller en récréation, il peut rester en classe. Ce qui n’est pas bien, c’est qu’on doit respecter des règles mais ce qui est bien c’est qu’on est libre à l’école. (Ahmed)
- dans la cour on est beaucoup et ceux qui veulent rester en classe laissent de la place à ceux qui sont dans la cour, surtout aux plus petits. Mais c’est moyennement bien parce qu’il peut y avoir des vols. (Youssef)
+ Qu’est-ce que le permis vous a appris ?
- j’ai appris à ne plus courir dans les couloirs. (Virginie)
- … à changer mon comportement en classe parce que je ne crie plus. (Jalal)
- avec les enseignants pour montrer qu’ils peuvent avoir confiance. (Raouïa)
- je fais mon possible pour ne plus faire de bêtises et ne pas perdre mon permis. (Hatem)
- pour apprendre à ne pas gaspiller les droits que l’on a obtenus. (Ichem)
- je l’ai perdu une fois et j’ai compris qu’il ne fallait pas abuser des droits qu’on nous donne. (Mouaâd)
Coopérativement
Sylvain CONNAC – 07/04