De la coopération à l’apprentissage de la malhonnêteté
La banque avait été volée à deux reprises. La première fois en novembre, deux enfants avaient été confondus, la sanction du conseil avait été une privation de libertés pendant une semaine. Quelques jours plus tard, Renaud, 10 ans, en CM1, avait avoué avoir fabriqué de la fausse monnaie en photocopiant sur du papier couleur des billets de la coopérative. Le conseil a alors décidé de l’exclure du système de la monnaie, ses amendes transformées en lignes et son travail en points. Quinze jours plus tard, la banque fut l’objet d’un nouveau vol, ce qui m’obligea, de rage, à suspendre la monnaie vu que les billets avaient disparus et n’ont pas été retrouvés. Avec du recul, je me suis dit que j’aurais sans doute mieux fait de ne rien dire et de voir qui allait vivre « au-dessus de ses moyens. » Dans l’action et la déception de la répétition, je n’ai pas pu y penser. Mes doutes en vinrent fortement sur Renaud qui n’avoua jamais, même avec le soutien de ses parents. Il était en effet le seul à ne pas pouvoir se servir de la monnaie, était resté plusieurs fois près du bureau et avait déjà commis de tels actes.
La classe a fonctionné pendant quatre mois sans monnaie. Le conseil décida que le travail serait valorisé par des points (qui ne servaient à rien d’autre que ça) et les remarques transformées d’abord en lignes puis en verbes à conjuguer.
La classe reprit son cours normal, sauf que beaucoup de « lignes » tombaient chaque semaine, étaient souvent doublées parce que non faites, etc. Les enfants les moins avides de travail ne furent pas du tout sollicités pour trouver dans la classe des sources de motivation aussi fortes que pouvait l’être la monnaie. Plusieurs conseils furent l’objet d’une tentative de réintroduction de la monnaie. J’argumentais à chaque fois que cela ne serait possible qu’avec l’auto dénonciation du voleur de banque, chose qui ne se fit jamais, même après avoir décidé qu’aucune sanction ne serait prononcée, ni même une information aux parents.
Avant les vacances d’avril, j’appris qu’une enfant à comportement sensible, pour qui la relation duelle s’était montrée par le passé très dangereuse, devait compléter le groupe de la classe. Autant pour les autres que pour elle, il m’a semblé indispensable de posséder comme éventuel instrument de médiation la monnaie. Je fis donc la proposition au conseil de la réintégrer mais à condition que ce soit Renaud qui devienne banquier. Les protestations fusèrent mais après un court débat, Renaud accepta. Les travaux furent de nouveau payés et les amendes réapparurent. La classe changea peu de profil, les ardeurs au travail pas plus d’ailleurs.
Mi-mai, cela faisait plusieurs fois que la responsable du matériel scolaire du placard se plaignait de la disparition de beaucoup de matériel : stylos, gommes, colles. Comme ces objets se trouvaient près d’ordinateurs que certains utilisaient pendant les récrés, impossible de savoir qui était à la source de ce souci et d’en mesurer les effets. Dans ce placard se trouvent également deux cartons avec des fiches de travail photocopiées. Jeudi, je me suis aperçu que certains enfants s’en servaient comme papier de brouillon. Devant tout le monde, j’ai alors expliqué de quoi il s’agissait et ai demandé de se servir ailleurs, dans la boîte prévue à cet effet.
Le vendredi matin, Renaud est arrivé dans la classe en compagnie d’un adulte de l’école qui l’a attrapé dans la cour en train de se battre avec un enfant de l’école voisine. Comme ce n’était pas la première fois, qu’il avait été prévenu et sanctionné, je l’ai isolé près de ce fameux placard en lui demandant de réfléchir à ce qu’il venait de faire. Il y a passé la matinée. L’après midi, à deux heures, j’ai trouvé des fiches des cartons déchirées et jetées sur le sol. J’ai demandé qui avait fait ça et devant la non-réponse de la classe, la répétition des disparitions et ma colère qui montait, ai annoncé que tant que la personne ne se dénoncerait pas, la classe ne reprendrait pas.
Cela dura l’après-midi. Tous les arguments furent donnés : pas de travail, pas de thèque, comportement sans courage, climat de suspicion dans la classe, … rien n’y fit. Une enquête fut même menée, pour savoir qui s’était approché de ces cartons. Mélissa fut un temps suspectée, se mit à pleurer avant d’être innocentée. Renaud fut bien sûr mis en cause, mais en arriva même à jurer sur sa religion pour manifester sa non-implication. Rien n’y fit, même pas la promesse qu’aucune sanction ne serait donnée. Le soir, j’annonçais que l’accès au placard devenait un interdit, que les enfants de la classe perdaient tous leurs libertés tant que rien ne serait trouvé, ils rentrèrent chez eux avec comme travail d’écrire ce qu’ils pensaient de cette situation.
Le samedi matin, dans la cour, je fis venir près de moi Renaud et lui demandai une nouvelle fois d’avouer si c’était lui qui avait déchiré ces feuilles. Il me dit que oui, qu’il avait besoin de papier de brouillon pour s’excuser de s’être battu et d’avoir eu honte de le dire devant les autres. Il m’expliqua aussi vouloir s’excuser devant la classe.
J’organisais alors un conseil extraordinaire, le premier de l’année. Renaud y prit la parole et expliqua la vérité devant la classe. Les autres se montrèrent consternés, surtout par le fait qu’il avait juré, certains même proposèrent une très lourde sanction. Au final, il s’engagea à faire des réparations : écrire une lettre d’excuses pour la classe et ranger une armoire en désordre. Le conseil lui donna comme sanction de copier 200 fois la phrase : « on ne déchire pas le matériel pédagogique de la classe. » Il partit s’asseoir à sa place. C’était certainement la seule chance de savoir s’il était ou pas impliqué dans la seconde histoire de vol de banque. Je n’ai rien demandé. Pendant ce conseil, il fut également voté que chacun pouvaient récupérer ses droits précédemment perdus.
Une demi-heure plus tard, alors que Thomas avait expliqué aller aux toilettes un quart d’heure avant, il n’était toujours de retour dans la classe. Simon nous dit qu’il était aux toilettes en train de jouer avec une game boy. Thomas est un enfant de 9 ans, très vif, se faisant constamment remarquer dans la classe et nécessitant beaucoup d’attention de ma part. Renvoyé de beaucoup d’équipes parce qu’insupporté par les référents, nous venions de parler une nouvelle fois de son cas lors du précédent conseil et avions trouvé une nouvelle équipe acceptant de l’accueillir. A noter qu’en début d’année, ce même Thomas avait conduit sa mère à venir en furie à l’école pour protester contre le fait qu’il avait été mis tout seul à une table alors qu’il n’avait rien fait et qu’il était ma tête de Turc ! Après apaisement des esprits, il était apparu que la version racontée à la maison n’était pas du tout celle de la classe, la mère ayant finalement accepté de connaître les deux vérités avant de s’emporter. Depuis près d’un mois, Thomas est englué dans toutes sortes d’affaires de vols, d’argent à la maison, de jouets d’enfants dans la classe. Je décide donc d’aller le chercher, le trouve dans les escaliers en train de remonter, la game-boy à la main et m’expliquant qu’il revient des toilettes, qu’il n’a pas joué. Devant ce nouveau mensonge, je boue une nouvelle fois et organise un deuxième conseil extraordinaire. Thomas explique n’avoir rien fait et détenir la console de jeu seulement parce que Jérémy la lui avait prêtée. Ces propos sont contredits par plusieurs enfants qui témoignent l’avoir vu jouer dans les toilettes et même s’être vu proposé de jouer avec lui. A l’unanimité, Thomas devient ceinture dorée en comportement pendant quinze jours et donc perd toutes les libertés qu’il possédait. Je lui demande de rejoindre une table d’un coin de la classe, seul. Il râle et se met à pleurer. Le conseil décide aussi de rendre la game-boy à Jérémy et lui demande de ne plus l’apporter en classe. La récréation sonne. Thomas vient me voir en pleurs et explique trouver injuste la sanction pour ne pas avoir été le seul à jouer. Il accuse Maxime. Celui-ci vient à côté de nous, dit ne pas avoir touché le jeu et rouspète contre Thomas pour essayer de le mettre dans les affaires. Thomas s’excuse et s’en va.
Au retour de la récré, Jérémy vient me dire que sa game-boy a disparu de son cartable. Je lui conseille de bien la chercher mais il ne la trouve toujours pas. Les enfants étaient en plein bilan de plan de travail, je les interromps. Je leur explique la perte et demande à chacun de chercher dans leurs affaires, en vain. Un enfant propose alors que chacun montre son cartable et son casier à un autre enfant. Pas plus de résultat. Les seuls enfants présents pendant la récréation, Max et Rémi, disent n’avoir rien pris ni rien vu. Jérémy est assis près de la porte de communication avec une autre classe. Je me demande si certains de ces élèves présents pendant la récré n’auraient pas été tentés et me rends voir le collègue. Il m’assure être resté dans sa classe et n’avoir vu personne aller dans la mienne.
De retour avec mes élèves, l’un d’eux me dit : « C’est Max qui l’a ! » Je me tourne vers lui et lui demande si quelqu’un a regardé dans son cartable. Il m’indique qu’une de ses équipières l’a fait et qu’elle n’a rien trouvé. Elle valide. Max est malheureusement connu pour ne pas être franc du tout. Je lui propose de regarder à mon tour. Il me répond que non parce qu’il y a des affaires personnelles dans son cartable. Je lui demande de les enlever pour que je puisse jeter un coup d’œil. Il plonge sa main au fond du sac, trifouille deux trois secondes et sort un gros classeur noir. En le posant sur la table, la game-boy s’en échappe.
Soudain, Max se met à hurler que ce n’est pas lui, que quelqu’un a mis le jouet dans ses affaires. Il pousse des cris, pleure, jure, crache même. Devant son attitude, je retourne à mon bureau et décide d’écrire tout ce qui vient de se passer. Pendant la rédaction, il continue à hurler, un peu comme un animal qu’on égorge. Au terme de mon écrit, je lui demande de nous expliquer ce qu’il y avait de personnel dans ses affaires et ne répond que très tardivement une frêle explication. Je lui demande aussi pourquoi il a mis sa main au fond du sac avant d’en sortir le classeur. Il se remet à crier et jurer son innocence.
Devant l’évidence des preuves, je lui propose alors soit de nous dire la vérité, soit de convoquer ses parents pour en parler avec eux. Immédiatement, il avoue son vol et dit vouloir s’excuser. Les enfants de la classe protestent contre lui et réclament une sanction. Je reporte la discussion à un conseil extraordinaire lundi matin. Week-end.
Lundi matin, après le QDN, ce conseil est lancé. J’y redis les événements et Max, après avoir tenté de rester silencieux, présente comme réparations une lettre d’excuse à Jérémy ainsi qu’une autre à la classe. Les enfants prennent la parole pour expliquer toute la gêne de cette troisième affaire. Le conseil décide une ceinture dorée une semaine comme sanction. Max se met à pleurer. Ce conseil se termine par un temps de parole où je demande à qui veut de s’exprimer sur ce que représente le vol pour lui. Tout ce qui avait été dit ressort une nouvelle fois. La classe peut enfin reprendre, mais jusqu’à quelle autre mauvaise surprise ?