Travail sur les valeurs de nos pratiques
ChamPIgnon 1 – 08/11/02
Consigne de départ : « En fonction de tout ce dont nous avons parlé depuis ces dernières années, qu’est-ce qui fonde collectivement nos pratiques ? »
« Nos valeurs sont des interprétations introduites par nous dans les choses.[2] »
Ce serait donc l’ensemble de la résultante de notre éducation (morale et sur-moi) qui guiderait nos premiers choix pédagogiques et qui tendrait à constituer ce que l’on nomme notre projet personnel d’enseignant. Ce projet est guidé dans un premier temps par des principes pédagogiques qui déterminent la direction que ce projet prend.
Ainsi, par stratégies d’essais, d’erreurs et de réussites, par affinages successifs, le projet prend forme par la cohérence et la cohésion qu’il dégage. Ce ne serait qu’alors que des valeurs émergeraient, la différence entre valeur et morale se situant dans le fait que les valeurs sont le fruit d’une construction et d’une acceptation personnelle à l’image du projet.
Par la suite, ce qui peut faire évoluer les projets, ce sont les valeurs que l’on défend par une recherche d’adéquation plus fine entre ce que l’on souhaite construire et ce que l’on construit réellement. On entre alors dans une seconde phase où les valeurs interviennent comme des moteurs aux projets.
Les valeurs apparaissent donc comme des sortes de balises à partir desquelles nous nous fixons un cap pour éviter les éventuelles dérives liées au contexte d’influence dans lequel on évolue (médias, pressions diverses, contexte politique, …).
L’intérêt pour le métier d’enseignant dépendrait donc du degré de conscience des valeurs que l’on défend, ce qui serait un élément constitutif de son éthique professionnelle. Autrement dit, les fondements des pratiques professionnelles sont développés par la prise de conscience de ce que l’on suscite, ce qui entraîne une assise pédagogique plus grande, notamment à travers la qualité du climat relationnel que l’on crée.
Dans la forme rédactionnelle d’un projet, alors qu’un principe pédagogique se présente tel des phrases (Ex : les enfants se construisent par la construction), les valeurs sont plus dépendantes d’un substantif.
Voici en complément quels seraient les éléments constitutifs de notre éventuel système de valeurs éducatives.
Tolérance : créer des situations d’inter connaissances personnelles et ainsi tendre vers l’acceptation réciproque des différences individuelles. La tolérance se veut le principal paravent aux phénomènes d’exclusion voire de racisme dans une classe.
Persévérance : l’idée d’effort lié au travail prévaut sur celles de déterminisme social, de destin de vie ou de hasard de parcours. La persévérance dans le travail est entendue comme le moyen à partir duquel les réussites sont toujours possibles, une réussite correspondant à des aboutissements singuliers, relatifs à nos désirs et indépendants des effets de modes. L’effort n’est pas ici défini comme un instrument procurant un plaisir personnel. C’est pour cela que le « goût de l’effort » n’est pas cité au profit de persévérance voulant traduire un passage sûr menant quiconque à des développements personnels certains. Dans les faits de classe, cette valeur se reconnaît lorsque l’enseignant pousse l’enfant à s’engager dans des actions, l’encourageant à essayer plutôt qu’à renoncer, à se reconnaître capable plutôt qu’ignorant.
Authenticité : faire des relations interpersonnelles suscitées des situations de construction et de formation personnelle non parasitées par un paraître sous-jacent à un fonctionnement général. Permettre ainsi de se construire une identité propre par essais-erreurs-réussites. C’est dans cet esprit que l’institution pédagogique est entendue comme instrument de médiation. « Et sur les indications du diable, on créa l’école. L’enfant aime la nature : on le parqua dans des salles closes. L’enfant aime voir son activité servir à quelque chose : on fit en sorte qu’elle n’eût aucun but. Il aime bouger : on l’obligea à se tenir immobile. Il aime manier les objets : on le mit en contact avec les idées. Il aime se servir de ses mains : on ne mit en jeu que son cerveau. Il aime parler, on le contraignit au silence. Il voudrait raisonner : on le fit mémoriser. Il voudrait chercher la science : on la lui servit toute faite. Il voudrait s’enthousiasmer : on inventa les punitions. (…) Alors les enfants apprirent ce qu’ils n’auraient jamais appris sans cela. Ils surent dissimuler, ils surent tricher, ils surent mentir. » Adolphe FERRIERE
Coopération / entraide : permettre aux enfants de s’engager dans des projets d’entraide, soit en tant qu’expert qui propose son soutien quant à une de ses connaissances soit en tant que demandeur qui bénéficie par l’entretien d’un guide pédagogique optimisant les apprentissages. Entrer dans une démarche de coopération ne correspond pas à se reconnaître inférieur ou supérieur mais plutôt à accepter d’appartenir à un groupe où les manques et les erreurs sont possibles et où elles forment l’opportunité de créer du lien et permettre un enrichissement collectif. L’autre est alors considéré comme à découvrir parce que potentiellement en mesure de me faire grandir ou de grandir grâce à ce que je maîtrise déjà.
Humanisme : Tendre vers une considération de l’Homme étant une fin en soi et faire pour quête absolue la promotion de son développement social. Pour tout projet éducatif, l’Homme en est la mesure et son épanouissement ne s’entend qu’en dépendance avec son groupe d’appartenance. L’Homme se veut alors une entité à la fois singulière et originale, en mesure d’enrichir et de s’enrichir auprès de son groupe pairs et de par les expériences sociales qu’il développe. Dans cette optique d’humanisme, il devient la valeur suprême de tout projet.
Réalisme et cohérence dans les modes de vie : Faire de la réalité extérieure à l’école un maître-étalon du regard sur le monde et des éléments de construction à établir. Ancrer les projets de classes dans ce qui détermine les conditions extérieures à la classe ; s’interdire de vivre en autarcie et de créer dans le micro-groupe une société extérieure et indépendante de celle dans laquelle les enfants évoluent au quotidien à travers la famille et les loisirs. Le principe de nos projets n’est pas de se préparer à vivre dans et pour des utopies mais bien de s’entraîner à une vie vraie, colorée de tous ses déterminants élevant ou inhibiteurs. A terme, l’objectif est de préparer des enfants devenus citoyens capables de s’adapter au monde qui les entoure voire même en mesure de construire par l’intérieur une société correspondant davantage aux valeurs de coopération, d’authenticité et de tolérance.
L’autonomie est entendue comme une attitude singulière caractérisée par une liberté vécue à travers l’entière acceptation des normes sociales. Elle se veut alors moins une valeur à promouvoir qu’un support à partir duquel les valeurs précitées pourront émerger. Lorsqu’un enfant est en situation d’autonomie, il devient alors en mesure de s’exercer à une plus grande tolérance interpersonnelle et à se voir grandir dans la référence à l’humanisme, la coopération et l’authenticité. Inversement, c’est par l’exercices des libertés inhérentes à ces valeurs que ces enfants apprendront à devenir autonomes. L’autonomie est donc alors développée de manière transversale. La visée suscitée par cette attitude autonome recherchée est de ne pas construire des enfants ni en constante opposition ni en perpétuelle soumission mais plutôt en situation de « légitime révolte potentielle. » Ce développement de l’autonomie passe par la médiation de la règle socialement établie et individuellement acceptée. Dans leur construction, l’éclaircissement des lois et règlements se veut une aide à la structuration, un support pour donner des repères.
Toutes ces valeurs ne trouvent leurs fondement que par une approche systémique. Chacune est liée avec les autres, ce qui fonde la cohérence globale du projet. Il serait vain de penser que la croyance en l’effort n’implique pas dans ses relations l’adoption d’une attitude authentique. Il y a ce que l’on nomme une sorte de « congruence systémique », c’est à dire une forte liaison de dépendance entre toutes les valeurs énoncées qui forment une cohésion voire une cohérence d’ensemble. C’est d’ailleurs certainement au regard de cette entité axiologique que les pratiques coopératives peuvent se développer. Il apparaît alors comme évident que lorsque l’on souhaite orienter ses pratiques pédagogiques vers des pratiques coopératives, il s’agit plus d’intégrer ce système de valeurs que l’on nomme parfois « esprit » plutôt que seulement copier des pratiques qui isolément prises ne représentent que des outils mécaniques au service des idées que l’on développe.
Ce travail aura tout du moins voulu montrer que les valeurs se construisent souvent à l’image des projets que l’on développe et que l’on fait évoluer mais aussi que celles-ci sont à leur tour de précieux éléments aidant à la perfection des pratiques professionnelles, notamment en ce qui concerne le pôle éthique.
Etat actuel des échanges :
Avec de telles pratiques, nous participons à la construction :
à De quel Homme ?
Construire des personnes en mesure :
- d’affirmer leur singularité dans le respect de règles socialement établies (autonomie) ;
- de pouvoir s’appuyer sur l’interaction tout en proposant sa contribution personnelle pour l’éventuel intérêt d’un tiers (coopération).
à Pour quelle société ?
- Pour une société tolérante basée sur l’ouverture d’esprit et la capacité d’adaptation à de nouvelles situations ;
- Pour une société humaniste, c’est à dire en mesure de pouvoir militer pour la promotion de la personne et contre la prévalence de la masse et de l’anonymat.
à A partir de quelle école ?
à Avec quels adultes ?
Nous avons convenu d’un approfondissement de ce travail autour des trois axes suivants :
Ä Une réflexion personnelle pouvant conduire à un enrichissement de la recherche collective ;
Ä Un dépassement du contexte lié à l’école Antoine BALARD ;
Ä La recherche de valeurs formulées de manière à tendre vers une certaine spécificité du projet qui pourrait en découler (arriver à dépasser ce qui pourrait être considéré comme des banalités.)
[2] RUSS J., « Philosophie – Dictionnaire », Bordas, Paris, 1991, p 182.