APPRENDRE A LIRE
Robert Pelleing
Un vrai battage médiatique est organisé actuellement autour de l’apprentissage de la lecture. Et c’est très regrettable.
Le ministre est entré dans le domaine pédagogique du choix de la méthode, et la pédagogie n’est pas du domaine politique. En effet les programmes et les instructions sont de la responsabilité du ministre, mais pas le choix d’une méthode, qui est de la compétence de l’enseignant. Parler de méthode globale ou syllabique n’a pas de sens, car il n’existe pas de méthode totalement globale ou totalement syllabique. Comment lire globalement un mot entièrement nouveau ? Comment lire par la méthode syllabique un mot comme parent (un parent ou ils parent) ? Il n’existe que des méthodes mixtes, certaines à départ global, d’autres à départ syllabique.
Mais apprendre à lire suppose d’abord une envie de lire. Piaget dit que pour assimiler une connaissance il faut au départ un intérêt, et Freinet disait souvent « tu ne feras pas boire un mulet qui n’a pas soif ». Pour apprendre à lire il faut d’abord que l’élève soit motivé, qu’il ait envie de lire. Ensuite la méthode, qui n’est qu’un outil, importe peu et dépend du choix de l’enseignant. Au cours de mes trente années d’inspection j’ai vu des centaines de C.P. et j’ai rencontré de bons maîtres qui obtenaient d’excellents résultats aussi bien avec la méthode syllabique qu’avec la méthode globale, et quelques uns qui avaient des difficultés autant avec une méthode qu’avec l’autre. Il est vrai que la méthode syllabique facilite le déchiffrement, mais déchiffré n’est pas lire (dans ma jeunesse les enfants de chœur déchiffraient facilement le latin sans comprendre un mot de ce que soi-disant ils lisaient). Lire c’est comprendre un texte, recevoir un message. La méthode syllabique facilite le déchiffrage, la méthode globale privilégie le sens, mais les deux sont, tôt ou tard, nécessaires, l’une soutenant l’autre.
Le vrai problème de la lecture, actuellement, est le manque d’appétence pour la lecture chez les enfants et les adolescents, à cause de notre civilisation qui privilégie l’image et déforme systématiquement les textes écrits (SMS,pub,…). De plus les médias jouent un rôle nocif en courant après le scoop et le thème « porteur ». Ainsi les journalistes développent de longs articles sur l’apprentissage de la lecture en ignorant tout des problèmes pédagogiques dans ce domaine, ce qui est normal. J’ai même lu un article qui faisait l’éloge de parents, dont l’enfant utilisait la méthode globale, et qui à la maison lui apprenaient la méthode syllabique avec un vieux manuel, excellent d’ailleurs pour cette méthode. Ils ne se rendaient pas compte qu’il risquaient de perturber fortement l’élève en lui faisant pratiquer deux méthodes d’esprit absolument différent, mais surtout qu’ils allaient à coup sûr faire perdre à l’enfant la confiance dans son maître, indispensable nous l’avons vu pour le faire progresser en classe.
Laissons donc les maîtres choisir leur méthode (exigeons nous du peintre qui vient travailler chez nous qu’il utilise tel ou tel pinceau ?), et aidons les à développer l’envie de lire chez les élèves, surtout chez ceux qui vivent dans un milieu difficile. Et n’accusons pas l’outil d’être la cause d’un mauvais résultat puisque les deux méthodes ont permis à des milliers d’enfants à vite vraiment lire. N’oublions pas que la pédagogie, qui est la base du travail de l’enseignant, est une discipline difficile à maîtriser, exigeant un long apprentissage et une certaine expérience (que possèdent d’ailleurs la grande majorité des enseignants, je peux en témoigner) et n’imposant jamais à un maître l’utilisation d’un outil qui ne lui convient pas.
L’élève aura confiance dans son maître dans la mesure où la société, et d’abord les parents, aura confiance dans l’enseignant.