Bernard Defrance Le droit dans l’école
- Les violences dites « institutionnelles »
Pour les élèves :
- Les horaires
- Les règles de comportements aléatoires
- les contenus d’enseignements tronçonnés
- La règle de « la loi du plus fort » physiquement mais aussi intellectuellement, explicitement ou implicitement.
- Le cadre scolaire en général en opposition avec « les désordres de la vie à la maison », de ceux de la société environnante et de ceux du monde entier.
Pour les enseignants :
- Ils sont juges et partie
- Ils sont seuls dans leur classe face à un rassemblement imprévisible d’élèves…un rapport de force s’installe !
- Dans ce rapport de force, l’obéissance se pervertit en soumission du côté des élèves, l’autorité en pouvoir du côté des enseignants.
Ainsi des doubles liens se fabriquent et vident de leur sens les savoirs eux-mêmes
L’élève doit apprendre à être selon les contextes :
- Docile ou actif
- Motivé mais à la commande
- Autonome mais soumis
- Sérieux et appliqué mais « génial »
- Récitant mais avec du sens
- Reproducteur mécanique mais en donnant l’impression d’imaginer
L’enseignant est lui marqué par ces injonctions contradictoires :
- Etablir un contact et maintenir à distance
- Etre libre des méthodes pédagogiques sans sortir des programmes ou des injonctions de circonscription
- Souverain dans sa classe mais soumis à l’inspection
- Entraîneur de ses élèves mais en même temps arbitre et juge
- Sévère mais juste
Tous rôles entraînent des confusions de pouvoirs, la recherche de vérité se pervertissant en recherche de conformité.
Dès lors les élèves vont se répartir en trois grandes catégories (non fermées)
- Ceux qui vont s’employer à dépasser le maître : les bons élèves, ceux qui ne règlent rien (affectivement, psychologiquement ou autre…) dans la classe : ils seront eux-mêmes, décideurs, futurs profs….
- Ceux qui refusent consciemment ou non cet apprentissage systématique de l’ambiguïté pédagogique, de l’hypocrisie : ils sont des élèves marginaux et souvent dans l’exclusion (agitation, violence et absentéisme…)
- La majorité silencieuse : ceux qui font juste ce qu’il faut pour ne pas « avoir d’ennuis ». Ils sont souvent indifférents aux responsabilités civiques et manipulables au gré des influences « de force » ou médiatique. Ils attendent souvent les conflits entre maître et élève, c’est le meilleur public pour les élèves du groupe 2 et c’est d’eux qu’il faudrait le plus se méfier.
- L’enseignement/apprentissage :
- Le cours magistral, la notation….
Il ne transmet pas les savoirs et empêche l’appropriation par le plus grand nombre d’élèves.
Il implique la « révélation » (au sens religieux du terme : on ne sait pas d’où ça vient mais c’est là et comme ça !).
Il implique l’obligation de résultat.
Or la recherche exige le doute, l’incertitude, la discutabilité et la réfutation ; l’examen, le « contrôle » commande par rétroaction, aussi bien le comportement des élèves que celui de l’enseignant.
- Il y a souvent clivage et séparation entre « les savoirs » et « le vivre ensemble »
Le plus instruit peut donc être le plus immoral.
Il y a confusion entre le pénal et le civil :
- Une note basse devient une mauvaise note
- Une tâche à accomplir devient un devoir
- Une sanction devient une punition
- La réussite scolaire devient un jeu de prestance et de rivalité
Cette confusion/séparation s’oppose
à la nécessaire distinction-articulation des savoirs et de la loi.
- L’école sanctionne et oriente…
L’école instaure de la privation : il y a une inversion entre la fin et les moyens :
« compter, lire, écrire » devient une fin en lui-même et un moyen de sélection…
Au lieu …
- D’être source de désir d’exploration du monde
- De permettre d’aller à la rencontre de l’inconnu
- D’élever (élève…) au moins à égalité du maître
Il y a………
- Obligation de résultats sanctionnée par des notes et des examens.
L’école fabrique de la délinquance et de l’envie de pouvoir, ceux qui nous dirigent sont issus des plus grandes…
Les débats sur l’école sont alimentés par une erreur simplificatrice, celle des logiques binaires de l’exclusion réciproque :
- Le « savoir » ou bien « la pédagogie »
- La parole aux élèves ou bien le silence absolu aux ignorants
- Ecole ouverte ou bien école sanctuaire
- Education ou bien instruction…
Pourtant,
- la parole est source d’apprentissage,
- Le savoir ne peut s’acquérir sans plusieurs méthodes
- La pédagogie sans contenu n’a pas de sens
- Si l’école doit être fermée c’est pour qu’elle puisse s’ouvrir
- L’obligation de résultats peut être singularisée, individualisée et faire partie néanmoins de l’éducation à la citoyenneté : autonomie et référence à la norme.
- Les trois fonctions de l’école
- Instruction
- Formation
- Education
Aujourd’hui, c’est la troisième qui conditionne les deux autres.
Pour éviter à la fois le maintien des rituels archaïques religieux (bien ou mal) et la pénétration dans l’école des soucis marchands, consacrés par la course aux bonnes notes et aux diplômes….
………… la distinction des pouvoirs doit progressivement être instituée :
- Nul ne peut se faire justice à lui-même (réglage de la violence)
- Nul ne peut être juge et partie (validation des compétences)
Les enjeux de la construction des savoirs en articulation avec l’institution de la loi seraient donc de sortir de la violence, de la diminuer et de comprendre que :
«Ma liberté ne s’arrête pas là où commence celle de l’autre
mais qu’elle commence là où commence celle de l’autre »
- Les douze principes du droit
1.La liberté est la même pour tous :
Respect mutuel : exemple des retards ou du chewing gum ou de l’utilisation des portables…..enseignants/élèves.
2. Nul n’est censé ignorer la Loi :
A la majorité autrefois, aujourd’hui à 13 ans... mais quand l’apprend-on ? Et où ?
Pour cela les lois et règles doivent être écrites et référentielles :
« Avant d’agir, j’ai pu m’informer…. »
La loi donne aussi des droits, pas seulement des interdits : le droit d’apprendre, de jouer, de s’expliquer, d’être entendu, d’être protégé……..
3.Nul ne peut être mis en cause pour un acte dont il n’est pas l’auteur ou le complice.
Depuis 2000, la punition collective est interdite (circulaire E.N. n° 8 spec. 13/07/00).
« La peine doit être individualisée ».
4. Nul ne peut être mis en cause pour un comportement qui ne porte tort qu’à lui-même.
L’élève qui ne travaille pas ne peut être puni mais seulement sanctionné. Il l’est par ses résultats scolaires ou la convocation de ses parents.
La punition est le résultat légal d’un comportement illégal, la sanction est le résultat, positif ou négatif, d’un processus d’apprentissage. (La confusion « pénal » et « civil » est ici souvent faite. C’est la confusion « amende » et « dommages et intérêts »
Le langage lui-même transforme la sanction en punition :
- L’erreur devient une faute
- La tâche est un devoir
- Le zéro indique que l’élève est « nul »
- On n’a pas un haut ou faible niveau de compétences, on est « bon élève » ou mauvais élève »
Autre exemple de la confusion : l’élève qui arrive en retard ne peut être « puni », ses parents OUI.
5. Toute infraction entraîne punition et réparation.
- Toute erreur doit être réparée sinon elle devient une faute.
- Toute transgression entraîne une punition ou une sanction : les transgressions doivent donc être hiérarchisées, ainsi la différence entre illégalité et apprentissage/éducation et celle entre « pénal » et « civil » peut être fait.
- L’absence de réparation
Vis-à-vis de la victime, l’empêche de dépasser le sentiment d’injustice qui l’occupe et fabrique des agresseurs en puissance, pour les élèves, l’empêche également de dépasser un stade émotionnel et de passer aux apprentissages.
- L’absence de punition
Vis-à-vis de l’agresseur, le maintien d’une part dans un état de toute puissance (petite enfance, donc l’empêche de grandir…) mais le maintient aussi dans un sentiment d’impunité.
- Cette double absence a des effets pervers sur les témoins (les fameux du groupe 2, la masse silencieuse, par exemple).
- Ainsi, la réparation même symbolique (ritualisation parlée de l’acte « je… », ritualisation des excuses etc.) est nécessaire à la reconstruction de soi pour la victime.
- Ainsi la punition est nécessaire pour la restauration de soi pour l’auteur (en tant « je suis capable de me réhabiliter, de changer, d’apprendre… » )
L’articulation des 2 est donc nécessaire au rétablissement des liens symboliques et sociaux.
6. Un mineur est déjà un sujet de droit, mais pas encore un citoyen.
L’enfant apprend, l’élève s’élève !
L’implicite scolaire adulte est la plus grande violence institutionnelle : on présuppose trop souvent que l’enfant sait ! Or il vient précisément à l’école pour apprendre !
Un sujet de droit implique que la parole de l’enfant ne peut être niée : deux institutions sont à mettre à notre épreuve, celle des lieux de paroles (nous apprenons beaucoup sur les représentations erronées des élèves) et celle de l’exercice progressif des responsabilités.
7. Pour une même infraction, un mineur est moins puni qu’un majeur.
Dans un règlement d’école, il y a très peu de hiérarchisations ni dans les actes commis ni par ceux qui les commettent. Or un élève de CP n’a pas eu le même temps d’appropriation qu’un futur 6ème ! De même, l’agression d’un CM2 sur un CP ne devrait pas avoir la même valeur qu’une « bagarre » entre deux CP ou entre deux CM !
8. Nul ne peut se faire justice à soi-même. A traiter avec
9. Nul ne peut être juge et partie.
- La première proposition met l’accent sur le « pénal ». Aucune transgression « pénale » ne peut être laissée impunie, mais cela exige la présence d’un tiers ou d’une instance tierce (l’adulte ou une institution, ou un autre adulte si ce dernier fait partie du conflit exposé). C’est l’application de « l’interdit de vengeance ». Il s’agit de se comporter en citoyen :
- agir dans la limite de ses moyens pour interrompre la commission d’un acte transgressif quelconque et…
- déférer le coupable devant l’instance compétente et institutionnalisée qui a comme fonction d’attribuer la punition et la réparation en respectant l’obligation de la preuve,d’individualisation de la punition et de sa proportionnalité à l’acte (obligation scolaire depuis 2000, BO spécial n° 8, 13/07)
Il n’est cependant pas question de traiter au juridique ce qui relève du pédagogique. C’est pourquoi la première proposition ne peut être séparée de la deuxième qui en est la conséquence.
- La deuxième proposition met l’accent sur le versant civil. Nous sommes au cœur même des fonctions de l’école : l’instruction et la validation des résultats de cette instruction.
La situation qui pose l’enseignant comme celui qui enseigne et qui juge, non pas de son enseignement, mais des résultats de ses élèves, est un véritable cercle vicieux et implique pour l’élève docilité et soumission pour le passage au niveau supérieur.
è Il est important que l’élève prenne conscience de ses ignorances (plutôt que de jouer aux devinettes pour tenter de correspondre à ce qu’il pense qu’attend de lui l’enseignant) et qu’il y ait une réelle évaluation de ses compétences, de façon normative.
è Car, dans l’état actuel du fonctionnement scolaire, il n’existe ni évaluation, ni validation qui distingue réellement les situations d’apprentissage et les situations de contrôle. La confusion des deux détruit pour l’enseignant comme pour l’élève toute situation d’enseignement ou d’apprentissage.
è En conséquence, pour entrer dans l’Instruction deux conditions sont à nécessaires :
1. Pour l’élève : être distant des dimensions affectives, sociales et psychologiques qui rendent impossibles toute concentration ou investissement nécessaires au travail. (L’institutionnalisation des moments passerelles, « quoi de neuf ? », « lieux de parole », « débats » peuvent permettre la transition entre l’état d’enfant et celui d’élève.)
2. Pour l’enseignant : faire prendre conscience à l’élève de son état de compétences, voire d’ignorance, de ses fausses représentations en lui permettant de l’exprimer à haute voix et en toute sécurité, sans courir le risque de moqueries ou d’humiliation, mêmes implicites (rigolade générale sur un comportement ou appréciations rendues publiques par exemple, aucun enseignant se supporterait, d’ailleurs, la publication d’un rapport d’inspection le mettant à défaut !). Ces comportements incitent l’élève faible ou moyen à utiliser tous les moyens de tricherie ou de docilité calculée pour cacher par prudence ses difficultés de compréhension.
11.L’interdit de la violence ne se discute pas démocratiquement puisqu’il permet la discussion démocratique.
La liberté de penser est une chose, à condition de distinguer jugement de valeur et jugement de fait.
- Il ne s’agit pas de limiter la liberté de penser, dans le débat démocratique, mais de comprendre ce qui permet la liberté, à commencer par la non-confusion entre l’expression d’une pensée et l’expression d’une passion.
- Il ne s’agit pas de limiter la liberté d’expression mais de la structurer, comme le code de la route structure la circulation, sans la limiter : les devoirs ne limitent pas mais structurent l’exercice effectif des droits.
L’interdit de la violence porte sur toute les formes verbales (à travailler en classe) : les insultes, bien sûr, mais aussi, le mépris,, l’ironie blessante, l’humiliation, la moquerie…
« On ne se moque pas » devient une règle en classe !
12.L’usage de la force n’est légitime que dans deux cas : l’urgence (légitime défense) et l’assistance à personne en danger (après épuisement de toutes les voies de droit pour rétablir le droit)
Après épuisement de toutes les voies de droit…. C’est sur ce principe qu’il nous faut travailler, la demande d’aide, de secours et de protection que nous demandent les élèves. Sans réaction systématique, même si le fait ne nous paraît pas grave, l’élève utilisera la violence plutôt que la force de droit.
L’ « urgence » implique que bien souvent on n’a pas le temps de parler. C’est à l’école qu’on peut apprendre par le « dire », en amont d’un fait de violence, ce qu’on à droit de faire ou ne pas faire.
Il nous revient la tâche de permettre aux enfants de découvrir que lois et savoirs articulés augmentent les libertés, la liberté et que le savoir sans loi est immoral, et la loi sans le savoir est impuissante.
D’après Bernard Defrance
Myriam Ben-Said
Source: Bernard Defrance (2000). Le droit dans l'école. Les principes du droit appliqués à l'institution scolaire. Paris & Bruxelles, Castells & Labor.