Extrait de rapport de stage

I – Données générales

         Le Sénégal est un pays récent dans sa forme actuelle puisque après cinq siècles de colonisation dont trois français, l’accès à l’indépendance date de 1960, avec la présidence de Léopold Sédar Senghor. Le français est toujours la langue officielle tandis que le wolof est la langue nationale. Le wolof est la langue de l’ethnie majoritaire (36%) qui porte le même nom. D’autres ethnies vivent au Sénégal dans des proportions différentes selon les régions et avec une langue propre. Les plus importants sont les sérères, les toucouleurs, les peuls, les diolas, les maures et les mandingues. Les relations entre les différentes ethnies sont excellentes et sont le reflet du Sénégal dans sa globalité : pluralisme, acceptation des différences, vif intérêt pour les autres cultures…

         Environ dix millions d’habitants sont répartis sur 196 000 km2, soit plus d’un tiers de la France. 42% des sénégalais vivent en ville, les autres habitants en brousse et vivant essentiellement de l’agriculture.

         La population est jeune comparativement à la France puisque 50% des sénégalais ont moins de 18 ans et 75% moins de 30 ans. Le taux d’alphabétisation officiel est de 36%, la scolarisation actuelle étant de 68% dans l’élémentaire et de 11% dans le secondaire.

         L’indice de fécondité est de 5,2 enfants par femme, la polygamie est autorisée, jusqu’à quatre femmes.

La religion majoritaire est l’islam avec plus de 90% de la population qui le pratique régulièrement. Les musulmans sont à majorité mourides, confrérie créée par Mamadou Bamba et dont ses descendants ont relayé les enseignements. L’islam est aussi mêlé à des religions plus anciennes, d’essence animiste. Il n’y a presque pas d’athées au Sénégal, dont l’expression même n’est pas toujours comprise. Le reste de la population est donc essentiellement catholique, soit environ 10%. La religion occupe une part très importante dans la vie quotidienne, à la différence de la France où le nombre de pratiquants est en baisse.

Cela explique le très grand nombre d’écoles coraniques, dirigées par des imams ou marabouts et enseignant l’arabe au travers du coran.

Les élèves de ces écoles, appelés talibés ne peuvent aller dans l’enseignement public classique et subviennent à leurs besoins par l’intermédiaire de la mendicité, puisqu’ils ne vivent plus chez leurs parents.

Le statut de la femme au Sénégal est, comme presque partout dans le monde, différent de celui de l’homme, avec plus de devoirs et moins de droits. Cela a bien sûr une influence à l’école sur le comportement des élèves.
II – Aperçu des institutions

1) organigramme

            Le système éducatif sénégalais est globalement proche du notre d’un point de vue organisationnel puisqu’en tant que colonie française, le Sénégal n’a pu choisir son mode de fonctionnement. Ce n’est pas ici le lieu se demander si la colonisation a eu des effets négatifs ou bien désastreux, il n’empêche que ce que nos ancêtres ont imposé est toujours bel et bien présent.

         D’un point de vue hiérarchique, le Ministre de l’Education Nationale est au sommet d’une pyramide de type encéphalique. Le Sénégal est ensuite divisé en onze académies, dirigées par le Recteur, dont les fonctions relèvent directement de l’Etat et ne sont donc pas soumises au regard du préfet. Un Inspecteur d’Académie est chargé du premier degré et compte sous ses ordres un certain nombre d’IEN (Inspecteurs de l’Education Nationale), en fonction des effectifs de l’Académie. Jusqu’ici, aucune différence avec la France n’est à noter.

C’est le statut du directeur d’école qui n’est pas le même. En effet, celui-ci est le supérieur hiérarchique direct de ses adjoints et a donc droit de regard absolu sur leurs pratiques de classe. Entre les enseignants, les statuts peuvent ne pas être les mêmes en fonction du niveau de recrutements de ceux-ci.  Je vais présenter ci-après le mode de recrutement des instituteurs sénégalais et les comparer à celui des professeurs du secondaire.

2) scolarité

         L’école élémentaire commence avec le CI (Cours d’initiation) qui peut être intégré à partir de cinq ans. Ensuite, les classes suivent la progression française avec une échéance à la fin du CM2 avec le certificat de fin d’études élémentaires. La suite de la scolarité (collège-lycée) est identique à celle de notre pays. Avant le CI, il est possible de fréquenter les jardins d’enfants, qui sont en réalité des garderies payantes.

L‘inscription est gratuite mais une participation est demandée pour l’achat des livres et autres fournitures, en fonction des besoins de l’école.

3) mode de recrutement

Qui veut prétendre à occuper la fonction de maître doit posséder au minimum le BFM, examen effectué en fin de troisième, qui correspond à notre brevet des collèges. Il est alors possible de passer un concours permettant de rentrer à l’I.F.I.(Institut de Formation des Instituteurs). Ce concours  ne comporte qu’une seule épreuve servant à évaluer le niveau de français à l’écrit. Si le candidat est admis, il doit faire une formation de six mois à l’I.F.I., composée de cours théoriques et de stages pratiques, sur le même principe que la formation I.U.F.M. française. A l’issue de cette demi année, les étudiants deviennent automatiquement V.E.N. (Volontaires de l’Education Nationale) et ce pour une période de deux ans incompressible durant laquelle il est possible à tout moment de licencier le volontaire.

Les deux ans ayant été effectués pour un salaire mensuel très faible, le volontaire devient Maître Contractuel (M.C.), qui n’est toujours pas fonctionnaire d’Etat mais dont la rétribution est plus importante. Ce statut permet aussi à son titulaire de postuler à l’obtention de deux diplômes, le C.E.A.P. (Certificat Elémentaire d’Etudes Pédagogiques) et le C.A.P. (Certificat d’Etudes Pédagogiques), lesquels permettant de rentrer définitivement dans la fonction publique et d’accéder ainsi à un salaire plus élevé et à la sécurité de l’emploi.

Le C.E.A.P. ouvre le grade d’instituteur adjoint tandis que le C.A.P. celui d’instituteur. Pour obtenir le C.E.A.P., il faut dans un premier temps être admissible par l’intermédiaire d’une dissertation de français. Cette condition étant remplie, le candidat doit se tenir prêt à recevoir la visite inopinée d’une délégation composée au moins d’un inspecteur, un directeur d’école, un instituteur titulaire du diplôme. Cette inspection donnera ou non le nouveau statut à l’enseignant. Le C.E.A.P. s’obtient avec une épreuve écrite difficile consistant résidant principalement dans une analyse et rédaction de fiche de préparation. Il n’existe pas de diplôme de spécialisation de type CAPA-SH, CAFIPEMPF ou autre.

         Ce système, à mon sens profondément inégalitaire, s’apparente à celui existant en France avec l’agrégation. En effet, à travail équivalent, la rémunération fluctue ! Cela entraîne parfois un certain ressenti entre collègues, ce qui ne favorise évidemment pas la collaboration pédagogique. Un problème conséquent réside aussi dans le fait qu’une fois l’écrit passé, le temps qui s’écoule jusqu’à la visite de la commission peut varier de quelques mois à plusieurs années ! Ainsi, deux M.C. de la même promotion peuvent être titularisés à trois ans d’intervalle, sans autre raison précise que des dessous de table ou des convenances personnelles…

         Il est intéressant de comparer ce mode de recrutement avec celui des professeurs du secondaire puisqu’il traduit parfaitement selon moi le manque de reconnaissance général dont les instituteurs sont victimes.

Ainsi, si un niveau troisième suffit pour élever les enfants de l’élémentaire, il est nécessaire de disposer au minimum d’une licence pour enseigner au collège ou au lycée. De plus, la formation à l’Ecole Normale pour ceux qui ont satisfait au concours d’entrée (uniquement théorique) va de un an pour les licenciés à deux ans pour les titulaires d’une maîtrise ! En définitive, plus vous êtes qualifiés, plus vous êtes qualifiés…

Cela se traduit bien entendu par une rémunération presque deux fois supérieure pour un professeur si celui-ci est titulaire. Comme pour les instituteurs, la période d’essai des professeurs est de deux ans mais ne peut être supérieure. Il existe des vacataires recrutés par l’Etat au niveau du baccalauréat et des vacataires recrutés par l’établissement, au bon vouloir des chefs d’établissement. Ici encore, la revendication des enseignants sénégalais : «  à travail égal salaire égal » est bafouée.

4) liberté pédagogique

         J’entends par liberté pédagogique, la possibilité offerte à l’enseignant de disposer des moyens qu’il juge les plus appropriés pour répondre aux objectifs fixés par la société quant à l’éducation de sa progéniture. Cette liberté est pour l’instant encore en vigueur en France malgré les tentatives inverses de M. De Robien. Elle ne s’exprime que dans le cadre de l’application des Instructions Officielles et ne s’apparente théoriquement pas à un laisser-aller, quoique certains abus soient à déplorer.

Si j’ai choisi d’en faire une sous partie du volet institutionnel, c’est que cette liberté est quasi-inexistante au Sénégal. Tout d’abord, l’emploi du temps est imposé par le Ministère et est donc le même dans toutes les classes du pays, en fonction du niveau ! Par exemple, le lundi matin de 8 heures à 9 heures, tous les élèves de CE2 du Sénégal ont une leçon de vocabulaire. L’uniformisation ne s’arrête pas là puisque les progressions et le thème des séances est lui aussi obligatoire. Ainsi, la énième leçon de morale devra traiter des salutations et pas d’autre chose.  J’ai pu constater de la réelle application des directives ministérielles, notamment chez les M.C. candidats au C.A.P., puisqu’ils savent qu’ils peuvent être inspectés à tout moment. La première vérification de la commission sera le respect de la progression et de l’emploi du temps affichés. La seconde sera la lecture attentive de la sacro-sainte fiche de préparation, dont toute séance doit faire l’objet. De ce fait, une journée comportant huit leçons doit s’accompagner du nombre de fiches correspondant, lesquelles sont datées pour éviter la réutilisation de ces dernières d’une année sur l’autre. Enfin, ces préparations sont visées chaque semaine par le supérieur hiérarchique direct en la personne du directeur, dont la responsabilité est engagée s’il vise des démarches contraires aux injonctions gouvernementales.

         On peut légitimement se demander si cette pression n’est pas préjudiciable au travail de l’enseignant. Le temps passé à rédiger (recopier ?) des fiches dont l’utilité, bien que reconnue pour certaines séances, ne se vérifie pas toujours pour des séances types, dont les instituteurs sont d’ailleurs contraints de se plier.

         A cela s’ajoute une contradiction importante : d’un côté, on astreint l’enseignant à rédiger pour chaque séance la trame de celle-ci et d’autre part on lui impose le manuel à utiliser ainsi que la démarche correspondante. L’I.A. donne à ses subalternes des prérogatives concernant les moyens d’enseignement. Par exemple, et je développerai plus en avant dans la partie suivante, la méthode purement syllabique type Bosher ne saurait souffrir d’aucune exception, quoiqu’en pense le professionnel qui est en face des élèves. Ainsi, un candidat se faisant surprendre à contrevenir à ces directives se verrait dans la plupart des cas refuser l’accès au grade supérieur.

         Cette situation est à mettre en relation avec le mode recrutement que j’ai évoqué plus tôt. En effet, les instituteurs sont considérés comme de simples exécutants et non pas comme des travailleurs capables de penser eux-mêmes la conduite de leurs apprentissage. Sans entrer dans le débat qui consisterait à juger de la pertinence de telle ou telle méthode, il me semble q’une donnée ne doit pas être omise, en l’occurrence l’élève et son milieu. Comment une démarche peut elle convenir à chacun ? N’est-ce pas au praticien d’adapter ses procédés en fonction du public dont il a la charge ?

Bien sûr, dans la pratique, certains enseignants prennent quelques libertés s’ils ne sont pas candidats mais les moyens matériels sont une entrave réelle.

III – Observations

1) emploi du temps et disciplines

         Afin de comparer le contenu même des enseignements, je vais présenter l’emploi du temps des classes de CE1 au Sénégal (je rappelle qu’il est commun dans tout le pays).

  Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi

8h

11h

Ed sanitaire

Vocabulaire

Lecture

Arithm.

Arabe

Conjugaison

Ed. civique

Grammaire

Lecture

Syst. métrique

Lecture

Orthographe

Ed. Physique

Conjugaison

Lecture

Géométrie

Lecture

Act. manuelles

Vocabulaire

Récitation

Lecture

Orthographe

Arabe

Orthographe

Morale

Grammaire

Lecture

Exp. Ecrite

Lecture

Ecriture

11h

11h30

Récréation Récréation Récréation Récréation Récréation

11h30

13h

Arithm.

Histoire

Exp. orale

Syst. métrique

Exp. Ecrite

Ed. Artistique

Géographie

Arabe

Arithmétique

Ed. religieuse

Pb pratique

Ed. musicale

Récitation

13h

15h

Repas Repas Repas Repas Repas

15h

17h

 

Ed. Religieuse

Renfct. Péda.

 

Renfct Péda.

Observation

Exp. Orale

Arabe

Soit une répartition horaire comme suit :

Langue française : 7 h                                       Education civique : 15 min

Lecture : 5 h                                                       Education morale : 15 min

Ecriture : 30 min                                                 Histoire Géographie : 2 h

Calcul : 4 h 30                                                    Observation : 30 min

Education artistique et musicale : 45 min                 Education physique : 30 min

Education sanitaire : 15 min                    Renforcement pédagogique  2 h

Ed. Religieuse : 2 h                                    Récréation : 2 h 30

Arabe : 2 h

Soit un total de 29 heures y compris les récréations réparties sur trois journées de 7 heures et deux journées de 5 heures.

Il est à noter que lors de la Coupe d’Afrique des Nations de football, les horaires sont aménagés pour permettre aux élèves de suivre les matches se déroulant l’après-midi. Les élèves effectuent donc une journée continue de 8 heures à 14 heures.

On peut remarquer que la plage horaire du matin (8h-11h) est assez longue et n’a pas d’équivalent en France. Il n’ y a pas de journée libérée au milieu de la semaine mais le samedi est en revanche constamment chômé.

La pause déjeuner est décalée par rapport à notre pays du fait de la forte chaleur qui règne à ces horaires.

         D’un point de vue disciplinaire, la maîtrise de la langue[2] n’est pas aussi important que chez nous avec seulement 30 minutes contre 3 heures. L’écart est le même en ce qui concerne l’éducation physique.

Certains champs disciplinaires n’existent pas en France, l’éducation religieuse et morale, qui occupe ici deux heures et demie.

En ce qui concerne l’enseignement des langues, le statut de l’arabe est particulier puisqu’il est associé à l’éducation religieuse. En effet, l’objet d’étude de cet enseignement est la lecture du Coran dans le texte. Ce cours n’est pas effectué par l’enseignant titulaire mais par un instituteur dévolu à ces matières dans l’école. Un élève peut, si ses parents le désirent, être dispensé de ces cours. Cela a lieu lorsque la famille est chrétienne.

2) organisation et fonctionnement de classe

La disposition la plus courante est le face à face élève/enseignant mais lorsque les effectifs le permettent[4] mais pas systématique, elle peut faire office, aux dires des enseignants, de menace préventive. J’ai donc vu des élèves se faire frapper pour avoir parlé en même temps que le maître (qui porte ici bien son nom !), pour ne pas savoir ses tables de multiplication… Je reconnais avoir eu des difficultés à regarder une élève se faire frapper et pleurer en silence le restant de la leçon. Cette pratique a bien entendu fait l’objet de nombreux débats animés entre moi et mes collègues sénégalais. L’argument constamment avancé est que sans cela, les élèves sénégalais ne suivent pas ou ne travaillent pas. L’utilisation de la cravache est donc indispensable à leurs yeux. D’un point de vue comportemental, les élèves sont effectivement très (trop ?) calmes. Sont-ils attentifs pour autant ?

Les pratiques françaises sont ici considérées comme laxistes et permissives et expliquent pour les sénégalais le manque de politesse, de respect et de soumission dont nos élèves, disent ils, font défaut.


[2] Appelé observation

[4] Interdite dans les textes mais tolérée

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